C'est l'un des pays les plus restrictifs d'Europe en matière d'accès à l'interruption volontaire de grossesse. En Irlande du Nord, l'avortement reste illégal, même en cas de viol, de malformation grave ou mortelle du foetus ou de risque pour la santé de la mère. En vertu de la loi, les médecins et les accompagnants à la grossesse n'ont même pas le droit de donner aux femmes des informations complètes sur l'intervention médicale dont elles ont besoin et sur la manière d'avorter en toute sécurité. Quant aux femmes se faisant avorter illégalement, elles encourent une peine de prison à vie, tout comme ceux pratiquant l'intervention.
Face à cette politique ultra-conservatrice, les Irlandaises n'ont d'autre choix que de se rendre en Angleterre pour mettre fin à une grossesse non-désirée. Selon Amnesty International , plus de 56 000 filles et femmes vivant en Irlande du Nord se sont rendues en Angleterre ou au Pays de Galles pour se faire avorter depuis 1970. Onéreuse (1 500 euros en moyenne), l'interruption volontaire de grossesse à l'étranger plonge également ces femmes dans un immense désarroi.
Catriona en sait quelque chose. Dans un article paru samedi 31 octobre sur le site du Guardian, cette mère célibataire de 28 ans raconte le parcours du combattant qu'a été son avortement.
"Beaucoup de mauvaises choses me sont arrivées dans la vie, mais celle-ci est incontestablement la pire", explique-t-elle. Déjà maman de deux petits garçons, Catrina était enceinte de six lorsqu'elle a pris le bateau de nuit de Belfast à Liverpool pour subir une IVG. En plus de l'intervention, le trajet lui a coûté 570 livres sterling (environ 800 euros), ce qui a grandement pesé sur son budget déjà serré. Mais le plus difficile a été de se sentir si peu soutenue dans sa démarche. Seule sa mère était au courant. "Vous avez le sentiment que c'est un grand secret. Je ne l'ai pas dit à mes enfants. Je ne l'ai pas non plus dit à mes amis... Je pense qu'ils seraient compatissants, mais la plupart d'entre eux sont catholiques et pensent que l'avortement est un péché, donc j'ai préféré ne pas le mentionner. Il y a tellement de négativité à ce sujet. Ils nous font nous sentir mauvaises. Vous savez toujours que c'est bon pour vous, mais dans votre tête, vous ne pouvez vous empêcher de penser que ce que vous faites est mal."
Pour Anna, une étudiante de 23 ans déjà maman, son avortement en Angleterre reste aussi une expérience éprouvante. En cause : le gouffre financier que représentent le voyage, l'hébergement et l'intervention dans une clinique. En tout, elle estime que son IVG lui a coûté 1 000 euros. Incapable de payer une telle somme, elle a dû emprunter 800 euros à ses amis pour pouvoir avorter.
"Toutes les femmes ne peuvent pas obtenir l'argent et si elles ne peuvent pas, elles sont obligée d'avoir le bébé", regrette Anna. Elle-même estime qu'il lui faudra six mois pour rembourser ses créanciers. Elle craint que la pression financière ne l'empêche d'obtenir son diplôme.
C'est pour toutes ces raisons que Kally, qui dirige une clinique de Liverpool, fait part au Guardian de son inquiétude pour toutes ces femmes qui voyagent depuis l'Irlande. Avec l'infirmière en chef Helen, Kally cherche à rendre leur voyage moins contraignant, en les aidant à réserver le samedi afin qu'elles ne manquent pas de journée de travail ou en leur permettant de rester plus tard à la clinique si elles ont un vol de nuit. Elles conseillent aussi à toutes les femmes ayant un avortement médicamenteux de ne pas voyager par bateau ou par avion pour éviter tout risque d'hémorragie.
Elle explique aussi être furieuse contre la désinformation faite par certaines conseillers sur l'IVG en Irlande du Nord. Une brochure que lui a laissée une patiente affirme ainsi que les femmes ayant eu recours à un avortement ont 72% plus de risques d'être touchées par un cancer du rectum ou du côlon et 50% plus de risques d'avoir un cancer du sein. La brochure explique aussi que les femmes ayant eu une IVG sont davantage sujettes que les autres aux convulsions, aux tremblements, au coma, à la frigidité ou encore risquent de maltraiter leurs enfants.
Pour Kally, c'est un système "inhumain". "C'est très difficile pour les femmes d'Irlande pour venir ici. Beaucoup de choses contribuent au stress : elles ne veulent pas que les gens sachent, le coût élevé, le voyage... Sans compter le stigmate attaché à l'avortement. Elles ont peur, elles craignent de rencontrer les gens qu'elles connaissent. C'est déjà arrivé. Je ne dis pas que les femmes d'Angleterre ne sont pas anxieuses et inquiètes, mais elles n'ont pas ce stress supplémentaire que les femmes d'Irlande ressentent."