Il y a tout juste quarante ans, le 26 novembre 1974, Simon Veil, alors ministre de la Santé, montait à la tribune de l’Assemblée nationale pour présenter son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Jusqu’ici considéré comme un crime, le droit à l’avortement est finalement dépénalisé le 17 janvier 1975 au terme de débats houleux dans l’hémicycle, où seules neuf députées faisaient face à 481 hommes.
Quarante ans après le discours historique prononcé par Simone Veil à l’Assemblée nationale en faveur du droit des femmes à disposer librement de leur corps, avorter reste pourtant, pour beaucoup de femmes en France, un chemin de croix. Fermeture de centres pratiquant l’interruption volontaire de grossesse, discours moralisateur du corps médical, résurgence de la parole réactionnaire… Alors que le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone s’apprête ce mercredi à rendre hommage à Simone Veil, et que la ministre des Affaires sociales Marisol Touraine présentera à la mi-janvier un « plan cohérent pour améliorer l'accès à l'IVG sur l'ensemble du territoire », les entraves à l’avortement persistent toujours, contraignant certaines femmes à se rendre à l’étranger pour mettre fin à une grossesse non-désirée.
Selon la Drees (la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), près de 220 000 IVG ont été réalisées en France en 2012. Un chiffre « relativement stable depuis une dizaine d’années », malgré le scandale sanitaire des pilules de 3e et de 4e génération. Depuis la promulgation de la loi Veil il y a quarante ans, de nombreuses évolutions sont réalisées en faveur du droit à l’avortement : en 1982, l’interruption volontaire de grossesse est remboursée par la Sécurité sociale, en 1993, la loi Neiertz introduit la notion de délit d’entrave à l’IVG.
En 2000, une loi porte le délai légal d’interruption de 10 à 12 semaines de grossesse et autorise les médecins libéraux à pratiquer des IVG médicamenteuses. Le dernier renforcement du droit à l’avortement remonte à la loi sur l’égalité hommes-femmes promulguée cet été. Cette dernière supprime la notion de « situation de détresse » pour justifier une demande d’avortement et étend le délit d’entrave à l’IVG. La justice peut ainsi sanctionner le simple fait d'« empêcher de s'informer », notamment sur Internet, sur le droit à l'avortement. Les faux sites d'information lancés par des militants anti-avortement et épinglés sont donc désormais passibles de poursuites.
Pourtant, malgré ces avancées significatives du droit à l’avortement, mettre sereinement un terme à une grossesse non-désirée reste compliqué dans de nombreuses régions de France. Selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur l’accès à l’IVG, 130 centres pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ont, « pour des questions de rentabilité financière », fermé leurs portes en l’espace de dix ans. Contacté par Grazia, le président de la section éthique et déontologie du conseil national de l’Ordre des médecins Jean Faroudja explique : « Si certains médecins ne prennent pas en charge cet acte, c’est qu’il n’est pas très gratifiant, pas très intéressant et très peu rémunéré. En plus, le suivi de la patiente est difficile, l’IVG reste un acte risqué (hémorragie, infections), et les contraintes liées à l’application de la loi sont nombreuses. La législation doit être respectée mais si un médecin juge que cela devient dangereux, il peut ne pas le faire. »
Une tendance qui n’est pas prête de s’inverser puisque, alerte le Haut Conseil, « 37% des gynécologues partiront à la retraite dans les cinq ans ».
Les difficultés de trouver un centre pratiquant l’IVG, particulièrement criantes dans certaines régions, conduisent bien souvent les femmes, lorsque le délai légal de 12 semaines est dépassé, à se rendre pour avorter dans des pays. Ainsi, en Belgique, au Pays-Bas et en Grande-Bretagne, les délais d’intervention sont supérieurs. Selon la co-directrice du Planning familial Véronique Séhier, « entre 3 500 et 5 000 » femmes avorteraient chaque année à l’étranger.
Autre dérive constatée : aujourd’hui encore, les femmes n’ont pas toujours la possibilité d’opter pour une interruption volontaire de grossesse chirurgicale. En 2012 en effet, six IVG sur dix sont réalisées de façon médicamenteuse et ce, jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée, selon la Drees. Or, la Haute Autorité de Santé estime qu’au-delà de sept semaines de grossesse, l’IVG médicamenteuse multiplie les risques de complication.