L'article controversé sur l'IVG a été adopté, mardi 21 janvier à l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour l'égalité entre les hommes et les femmes, présenté par la ministre des droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem. L'article 5 quinquies C, issu d'un amendement socialiste adopté en Commission des lois mi-décembre, supprime la notion de « détresse », nécessaire selon l'article L.162-1 de loi Veil du 17 janvier 1975 pour avoir recours à une IVG et étend ce droit à chaque femme qui « ne veut pas poursuivre sa grossesse ».
Une évolution qui a provoqué l'ire de quelques milliers (entre 16 000 et 40 000) de militants anti-IVG, venus protester, dimanche 19 janvier à Paris, au cours d'une « marche pour la vie », pour demander l'abrogation de l'article et une restriction du droit à l'IVG, à l'instar de ce qu'a décidé le gouvernement conservateur du Premier ministre Mariano Rajoy. Des anti-IVG qui se sont notamment appuyés sur une campagne de communication qui n'a pas manqué de provoquer la polémique sur Twitter.
Quelle horreur... RT @MarchePourLaVie: Et s'il n'avait pas eu le droit de vivre, où en serait l'égalité? #MPLV2014 pic.Twitter.com/fXKguXj1Jt
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) 19 Janvier 2014
L'argument de la "banalisation" pas vérifié dans les faits
Si Hervé Mariton, député UMP de la Drôme et membre de l'Entente parlementaire pour la famille, ne « reçoit pas les appels des manifestants à s'inspirer de l'Espagne », le parlementaire est opposé à toute évolution de la législation. « Je ne pense pas qu'il soit judicieux de faire évoluer la loi Veil, installée dans le sentiment des Français ». Et le parlementaire de poursuivre : « Le texte actuel est assumé, accepté par la société et répond aux situations telles qu'elles se présentent en France ». « Nous sommes dans une situation pacifiée sur une question par définition délicate, pourquoi changer une loi vécue convenablement par les Français », s'interroge celui pour qui refus d'une « banalisation » de l'avortement ne signifie pas remise en cause de ce droit.
Une crainte qui ne semble pas se vérifier dans les faits. Les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) tendent à démontrer que le nombre d'IVG reste stable depuis une vingtaine d'années (225 000 en 2011) et concernent, en majorité, les femmes entre 20 et 24 ans. « Le nombre d'avortements, une démarche lourde et jamais faite à la légère, ne vont pas exploser parce qu'on supprime le mot "détresse" dans la loi », estime Rokhaya Diallo. « La notion de "situation de détresse", nous ramène à une époque où l'opposition à la possibilité d'interruption volontaire de grossesse était massive. Cela ne fait plus sens aujourd'hui, cette terminologie tend à amoindrir l'idée que l'avortement est un droit à part entière, sans qu'une quelconque justification morale soit nécessaire », poursuit la militante féministe.
« La loi ne doit faire état d'aucune ambiguïté face au retour du conservatisme actuellement à l'oeuvre en Europe », poursuit Rokhaya Diallo, pour qui la situation espagnole prouve que « les droits inscrits dans l'inconscient collectif ne sont jamais acquis, il s'agit d'un combat quotidien ». Même tonalité chez la députée PS des Français de l'étranger, Axelle Lemaire, coauteur de l'amendement décrié par une partie de l'opposition. « Assurer une protection renouvelée à l'accès à l'IVG est nécessaire, le texte actuel est le résultat d'un compromis qui date de 39 ans. Déjà en 1975, Simone Veil elle-même était contre l'entrée de cette notion dans la loi. Elle avait finalement dû s'y résoudre pour obtenir le vote des conservateurs en faveur de la loi », précise la parlementaire socialiste.
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Outre « la force symbolique » que revêt une telle modification, Axelle Lemaire juge que « la notion de "détresse", n'est pas évaluée en pratique, inutile dans les faits, comme en droit » et défend une « actualisation du droit français et du code de la santé publique », à l'heure où 35% des femmes françaises ont déjà eu recours à l'IVG. « Les enjeux politiques sous-tendus par ces questions sont plus globaux. La bataille autour du droit des femmes, en particulier des droits sexuels, se passe dans les enceintes européennes, et le lobbying de pays comme la Pologne, Malte et peut-être bientôt l'Espagne, favorables à une régression des droits des femmes y est très fort ». « Il est très important que la France et le gouvernement socialiste réaffirment le droit à l'IVG, pour les femmes et afin de s'assurer qu'une régression en cas de changement de majorité soit plus difficile à mettre en oeuvre », affirme la députée PS.
L'article 5 affirme sobrement, objectivement, de manière épurée, et sans plus de condition, le droit de recourir à l'#IVG en France
— Axelle Lemaire (@axellelemaire) 21 Janvier 2014
16 députés UMP prônent le déremboursement de l'IVG
En guise de réponse, seize députés du groupe UMP, membre de L'Entente parlementaire pour la famille, dont Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Marc Le Fur ou encore Isabelle Le Callenec, ont déposé, le 16 janvier, un amendement en faveur du déremboursement de l'IVG. Un acte pourtant remboursé à 100% depuis le 31 mars dernier. « Une initiative isolée », se défend Jean-François Copé, « un bond de trente ans en arrière », assène Axelle Lemaire. « C'est incroyable, qu'encore à ce jour, il faille expliquer qu'une femme qui recourt à l'IVG n'est pas forcément coupable, responsable, qu'elle ne doit pas être stigmatisée et se heurter à des entraves ou des personnes », dénonce l'élue.
« Nous avons donc des députés qui revendiquent complètement les idées de Marine Le Pen, puisque le déremboursement était proposé par la candidate frontière lors de la dernière campagne présidentielle », lâche Rokhaya Diallo. « On est ici dans la lignée du FN et de la droite la plus extrême, de la part d'une droite qui se dit "populaire". Or qui souffrirait du déremboursement ? Les plus pauvres », précise-t-elle avant de pointer « l'inquiétante pénétration des idées de l'extrême-droite dans l'enceinte législative ». Le texte a finalement été rejeté, mardi 21 janvier par 142 voix contre, 7 pour et 4 abstentions.