Des moqueries, des insultes, voire des coups, pendant une longue partie de la scolarité. Souvent, sans aucune raison apparente. Parfois à cause d'une faiblesse. D'une différence. La peur d'aller en cours qui s'installe. Les pleurs en rentrant à la maison. L'angoisse qui se réveille au petit matin. Voilà à quoi ressemble la scolarité d'une victime de harcèlement scolaire. Mais les effets de ce calvaire ne disparaissent pas forcément à la fin du lycée. Chez certains, les séquelles du harcèlement se font toujours ressentir à l'âge adulte.
"Des patients viennent me voir en me disant : je ne m'en remets pas", glisse Emmanuelle Piquet, thérapeute spécialisée dans le harcèlement scolaire et autrice du livre Votre enfant face aux autres, aux éditions Les Arènes. "Certains ont intégré le message implicite du harcèlement et considèrent qu'ils sont problématiques. Ils imaginent que le passé a créé un présent qu'ils ne peuvent changer."
Car le passé a souvent été très dur à vivre. Pour Bob*, un technicien informatique âgé de 33 ans, le harcèlement scolaire a débuté en classe cinquième et a duré jusqu'à la seconde et son changement de lycée. "J'étais un petit peu rond et j'ai un caractère assez doux et gentil. C'était un signe de faiblesse pour la plupart des harceleurs."
"J'ai subi énormément de moqueries. On m'a fait des crasses, on m'a inventé et répété des surnoms... Il y a aussi eu quelques violences physiques", se souvient celui qui devait "raser les murs pour être tranquille" et qui a même "pensé à se foutre en l'air toutes les semaines" durant son année de troisième. Une situation semblable à celles qu'ont connues les autres victimes de harcèlement scolaire qui ont accepté de témoigner.
Toutes évoquent des séquelles similaires : difficultés à interagir avec les autres, manque de confiance en soi ou encore troubles du sommeil... La principale est l'isolement social. "À 23 ans, j'étais toujours brisé par le harcèlement scolaire : il valait mieux être seul que mal accompagné", tranche Bob. À la fin de sa scolarité, il "n'avait plus confiance" en lui, ni dans les autres.
"On n'essaye même pas de rencontrer de nouvelles personnes pour ne pas se faire trahir", raconte-t-il. Ce qu'a aussi noté Emmanuelle Piquet avec ses patients : "Les victimes de harcèlement ont une tendance à se recroqueviller et à ne plus oser interagir. On ne peut que les comprendre..."
C'est le cas de Marion, une jeune comédienne de 26 ans qui a subi du harcèlement scolaire de l'école primaire à la seconde : "À l'époque, j'avais du mal à aller vers les gens, je n'avais pas confiance, c'était un cercle vicieux. Et encore en tant qu'adulte, j'ai peu d'amis, j'ai du mal à faire confiance aux gens. J'ai peur qu'ils me fassent un coup dans le dos. Quand on a vécu ça au collège, c'est une tache qui reste à vie, plus ou moins grande."
À l'inverse, Kellen*, étudiante en psychologie de 23 ans, dit "avoir tendance à beaucoup donner [sa] confiance aux gens" pour s'assurer de leur amitié. Celle qui a été harcelée parce qu'elle était rousse, éprouve aussi de la jalousie et de l'insécurité dans ses relations : "Quand on est en couple ou avec des amis, dès que quelqu'un d'autre se présente, on se dit 'moi, je suis rejetée'."
Cette méfiance vis-à-vis des autres est une séquelle souvent mentionnée. "Le simple rire derrière mon dos, je le prenais personnellement", se rappelle Bob, qui est désormais en grande partie parvenu à se sortir de cette dynamique. "À être un sujet de moquerie constant, on ne fait plus confiance aux moindres choses qui nous entourent."
Le jeune homme nous confie avoir "toujours le doute" quand quelqu'un rigole avec lui : "Est-ce qu'il rit avec moi ou de moi ?"
Résultat de cette méfiance, Bob réfléchit trop sur à peu près tout : "Rien que pour choisir un vêtement, on pense à la réaction des autres." Des angoisses qui préoccupent aussi Kellen, qui a toujours beaucoup de mal à savoir si les gens l'aiment ou la détestent. Ses doutes lui provoquent d'ailleurs des troubles du sommeil depuis le collège : " Je cogite trop. Je réfléchis, je me demande quoi faire pour que les choses changent."
Les insomnies, Marion les connaît aussi, car elle n'a "pas pris l'habitude de faire le vide". Elle reste méfiante envers les autres : "Je me dis que les gens sont forcément hypocrites, qu'ils font semblant de m'apprécier, qu'ils se moquent de moi dans mon dos. C'est un peu de la parano."
Emmanuelle Piquet pointe également une autre séquelle qui peut apparaître chez les parents anciennement harcelés : "Ils risquent d'être hyper inquiets pour leurs enfants car ils connaissent cette douleur. Certains vont être surprotecteurs." Bob, qui souhaite avoir des enfants, a déjà pensé à la manière dont il les éduquera pour ne pas qu'ils connaissent ce qu'il a vécu : il promet de "les pousser à être plus fermes et moins doux, à ne pas accepter les choses négatives qu'on peut leur faire."
Se libérer du poids du harcèlement scolaire peut être difficile, mais c'est aussi possible. Marion a quitté sa région à 18 ans et changé de nom, principalement pour qu'on ne la retrouve pas.
*Les prénoms ont été changés