L'université, un temple du savoir, de la liberté... et le paradis du harcèlement sexuel ? C'est ce que semble suggérer la polémique qui agite l'université Rennes 2. Le 24 mai dernier, des étudiants, avec le soutien de plusieurs organisations et associations féministes, ont publié "Soutien inconditionnel aux victimes de harcèlement", un communiqué qui dénonce les "cas de harcèlement sexuels (...) étouffés à Rennes 2", puisque "trois professeurs accusés de harcèlement sexuels vont être remis en poste à la rentrée".
Les faits ? En janvier dernier, deux enseignantes de Rennes 2 ont signalé à la direction de l'université le cas de trois professeurs, qui se seraient rendus coupables de harcèlement sexuel et psychologique. "Ce sont des choses courantes dans l'enseignement supérieur", explique au Parisien Jasmine Morice, militante de Solidaires Etudiant-e-s. Mais visiblement, malgré la régularité de ces incidents, ils demeurent mal gérés. Car le 20 mai dernier, la commission de discipline a relaxé deux des accusés sans prendre aucune mesure à leur encontre ; et le troisième, reconnu coupable, "a seulement écopé d'un empêchement de monter en grade durant deux ans", précise le document publié par les élèves. Une broutille par rapport à la gravité de son acte. L'impunité dont ont pu jouir ces hommes a mis le feu aux poudrières : "Si l'université doit être un lieu d'émancipation, il est intolérable que le système hiérarchique vienne altérer la qualité de notre vie universitaire", s'indignent les étudiants.
"Ce jugement est un entre soi, il n'est pas possible - au vu de la gravité des faits - que cela ne relève que de la justice intra-universitaire. Au regard du nombre de réactions que suscite notre communiqué sur Facebook, on s'aperçoit que ce genre d'actes est chose courante dans l'enseignement supérieur", poursuit Jasmine Morice interrogée par Le Parisien. Selon elle, les deux enseignantes ont décidé de porter l'affaire devant la Justice, mais cela révèle un dysfonctionnement sévère du système universitaire. Les commissions disciplinaires lors desquelles sont jugées les fautes du corps enseignant sont biaisées et inaptes à rendre une justice impartiale : un rapport du Sénat en 2013 sur le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur et la recherche dénonce l'asymétrie dont souffre la procédure disciplinaire : "L'impunité dont jouissent le plus souvent les auteurs de ces agissements tient largement au prestige dont ils jouissent dans leur discipline et, dans la mesure où ils sont jugés par leurs pairs, à l'embarras qu'éprouvent leurs collègues à sanctionner un confrère qu'ils connaissent et qu'ils estiment pour la qualité de ses travaux". Et ce système, où le mérite et la camaraderie priment sur la justice encourage la banalisation de fautes graves. Ce qui, dans un univers encore largement masculin, surtout dans les domaines scientifiques, par exemple, cela revient à laisser la porte grande ouverte au harcèlement sexuel.
Les violences sexistes et sexuelles constituent un mal très largement répandu dans l'enseignement supérieur et la recherche. L'absence d'informations et l'opacité du système universitaire, qui lave son linge sale en interne, constituent une véritable aubaine pour les auteurs de harcèlement : ils ne sont souvent même pas conscients de faire quelque chose de mal. C'est pour faire bouger les mentalités que l'association Clasches (Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans le milieu universitaire) a décidé de monter au créneau en publiant un Guide pratique pour s'informer et se défendre, disponible dans toutes les universités. L'association y décrit le phénomène du harcèlement sexuel dans le cadre universitaire, et détaille la marche à suivre et les personnes et institutions à constater si l'on en est victime. Informer pour mieux contrer : voilà l'éternel mantra de ceux qui luttent contre les violences sexuelles. Et l'affaire Rennes 2 ne peut que rappeler l'immense nécessité de se battre contre ce fléau, qui mine notre système d'enseignement supérieur. D'ailleurs, le rapport du Sénat révèle que sur Facebook, les étudiants étrangers qui se conseillent sur les voyages Erasmus déconseillent de venir poursuivre ses études en France, effrayés par le risque de harcèlement.