« Il est urgent que les pouvoirs publics mettent en œuvre les moyens nécessaires pour protéger, accompagner et soigner efficacement les victimes afin d’enrayer le cycle infernal des violences sexuelles ». Ces mots sont ceux du docteur Muriel Salmona, psychiatre et présidente de Mémoire traumatique et victimologie. Cette association qu’elle a fondée en 2009 vient en effet de révéler les résultats, aussi accablants qu’alarmants, d’une enquête sur les violences sexuelles, fléau qui concernerait 260 000 personnes par an selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes. Intitulé « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », la publication de ce document donne par ailleurs le coup d’envoi de la campagne « Stop déni » de l’Unicef.
Menée auprès de quelques 1 214 victimes (dont 95% des femmes) âgées de 15 à 72 ans, l’enquête révèle que 81% des répondants ont subi des violences alors même qu’ils étaient encore mineurs. Parmi eux, 51% n’avaient pas onze ans et pour 21%, les faits se sont produits avant leur sixième anniversaire. Par ailleurs, dans 94% des cas, l’agresseur n’est pas un inconnu mais bel et bien un membre de la famille.
Outre ces chiffres glaçants, une autre réalité préoccupante émerge de cette étude inédite : le déni et l’absence de prise en charge des victimes. Ainsi, seuls 4% des répondants agressés pendant dans leur plus jeune âge auraient été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Concernant les victimes ayant porté plainte, 66% de celles qui avaient moins de six ans au moment des faits déclarent « n’avoir jamais été protégée ». Du côté de celles qui avaient entre six et dix ans et entre onze et quatorze ans lors de leur agression, elles sont respectivement 70% et 71% à faire le même témoignage.
Une « absence de prise en charge adaptée, de protection et de reconnaissance » que Muriel Salmona dénonce d’autant plus vivement que « les conséquences sur la santé et la vie affective, familiale et professionnelle apparaissent extrêmement importantes ». La présidente de Mémoire traumatique et victimologie qualifie d’ailleurs ce déni de « véritable scandale de santé publique et d’atteinte aux droits des victimes ».
Et outre les services sociaux, la prise en charge médicale est également pointée du doigt, l’association dénonçant de graves « insuffisances ». En effet, seules 18% des répondants disent avoir bénéficié d’une prise en charge rapide après les violences, quand 41% ont finalement trouvé une prise en charge satisfaisante seulement treize ans après leur agression. « C’est d’autant plus frustrant que des traitements existent et qu’ils sont efficaces. On pourrait éviter à ces personnes d’être en souffrance, de se marginaliser, d’être en arrêt de travail », détaille Muriel Salmona.
Car sans surprise, lorsqu’elles sont passées sous silence, ces violences ont des conséquences dramatiques, même cinquante ans après. « Pathologies psychiatriques, cardiovasculaires, pulmonaires, endocriniennes, auto-immunes et neurologiques ainsi que des douleurs chroniques et des troubles du sommeil », listent les auteurs de l’étude. Ainsi, 42% des personnes interrogées confient avoir déjà tenté de se suicider et la quasi-totalité (95%) seraient parfaitement conscientes des répercussions de cette agression sur leur santé physique et mentale.
« Le coût humain des violences sexuelles est alarmant », déplore encore la présidente de Mémoire traumatique et victimologie. Aussi, pour améliorer la prise en charge des victimes l’association a fait plusieurs propositions parmi lesquelles la mise en place « dans chaque bassin de 200 000 habitants » de centres spécifiques offrant des soins adaptés et gratuits, ainsi que la formation « en urgence » des professionnels de santé sur la problématique que constituent ces violences sexuelles.
Teaser de la campagne STOP AU DENI - LES SANS VOIX par stopaudenilessansvoix