Policiers, gendarmes, assistantes sociales, médecins, avocats... : la liste des acteurs qui prennent en charge les femmes victimes de violences est longue et ces métiers ne se ressemblent pas. Et pourtant, tous les jours ils sont confrontés à la détresse de femmes battues, violées, harcelées, maltraitées, et doivent répondre au mieux au défi de leur prise en charge. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une femme sur dix est victime de violence dans le couple, soit 350 000 femmes en Île-de-France ; 75 000 femmes sont violées chaque année, soit un viol toutes les sept minutes ; le CNIDFF (Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles) seul aide chaque année 50 000 femmes qui se tournent vers son réseau d’associations.
L’un des enjeux majeurs de ces associations, comme de tous les acteurs avec lesquels elles travaillent en étroite collaboration, est de savoir accueillir, accompagner et conseiller les femmes qui se présentent à eux. Avec en ligne de mire les professionnels de la santé et les fonctionnaires de police, souvent les premiers à recevoir les victimes et à constater leur situation. Un aspect crucial de la prise en charge des victimes qui a été discuté vendredi 23 novembre lors d’un colloque organisé en présence de la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem.
« Nombre de femmes n’osent pas parler à leur médecin : il est donc important que les professionnels de santé soient en capacité de voir ce que l’on tait », explique Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soin. « Ils doivent apprendre à réagir, à poser les bonnes questions pour arriver au bon diagnostic et donc à la bonne prise en charge. » Pour ce faire, les universités ont trois leviers d’action : tout d’abord intégrer cette dimension dès la formation des étudiants en médecine, et inscrire dans ces enseignements la place qui doit revenir à la prise en charge des violences sexuelles. Second axe : la réforme des formations continues des personnels de santé : « Nous devons développer notre capacité à nous interroger en permanence sur notre pratique et son évolution. »
Pour ce faire, M. Debeaupuis conseille l’intégration de programmes relatifs à la détection et la prise en charge des femmes victimes de violences. « Même si la loi prévoit des procédures et modes d’action, les personnels sont souvent démunis : d’où l’importance de la formation et de la communication sur les dispositifs de prise en charge », insiste-t-il. En parallèle à ces formations s’est également instaurée une demi-journée de formation pour les étudiants en médecine volontaires au sein de l’équipe du Collectif féministe contre le viol (CFCV). « On en sort extrêmement responsabilisés, témoigne Marion Bouteille, l’une des participantes au programme. On y développe des acquis solide, et j’espère pouvoir ainsi devenir un maillon utile de la prise en charge de ces patientes ».
Idem du côté de la sécurité : les corps de police et de gendarmerie étant « particulièrement concernés par le primo-accueil des victimes de violences », comme le rappelle Didier Lallement, secrétaire général du ministère de l’Intérieur. « Quand ces femmes viennent demander de l’aide, une assistance et à faire exercer leurs droits, ces fonctionnaires sont souvent leur premier contact ». Et si une présence féminine peut aider dans ces univers très masculins, ce qui compte avant tout « c’est que les agents sachent répondre efficacement aux besoins des victimes ». Comme le souligne Emmanuelle Cornuault de l’AVFT (Association contre les violences faites aux femmes au travail), qui a édité un guide de formation, « la formation des professionnels est un enjeu très important dans la répression des violences faites aux femmes. On entend encore trop souvent : "la victime aurait pu dire non" ».
Un dispositif de formations spécifiques a donc été déployé : certains fonctionnaires de police suivent un cursus de protection des familles. Les modules qui y sont enseignés sont ensuite diffusés plus largement dans les commissariats. « Ont également été mis en place des modules spécifiques dans les écoles de gendarmerie, quel que soit le niveau de formation des gendarmes : l’objectif est d’opérer une sensibilisation spécifique à ces violences faites aux femmes ». Certaines associations collaborent et interviennent pour aider à la formation. Et M. Lallement l’assure : « Grâce à ces efforts, la façon dont sont accueillies aujourd'hui les femmes victimes évolue de façon positive, même si ce n’est pas encore suffisant. »
Engagée de longue date dans la défense et l’accompagnement des femmes victimes de violences, Marie-France Casalis, formatrice à l’ENM, dans les universités de médecine et auprès des forces de l’ordre, souligne par ailleurs le rôle crucial que jouent les associations féministes dans la formation que reçoivent les professionnels. « Nous connaissons les stratégies déployées par les agresseurs, nous savons comment ils agissent. Nous travaillons donc autour de ces axes pour pouvoir poser les bonnes questions aux victimes dès le premier appel : savoir ce qui leur a fait peur, ce qui les a humiliées, savoir ce que l’agresseur a mis en place pour obtenir leur silence », explique-t-elle.
Ce que confirme Emmanuelle Cornuault, déléguée de l’AVFT : « Notre souhait est que chaque professionnel puisse à son niveau comprendre les mécanismes des violences sexuelles, le mode opératoire de l’agresseur, les réactions de la victime… Un professionnel bien formé, cela permet une procédure fluide pour mener à la condamnation de l’auteur des violences ». De son côté, Annie Guilberteau, du CNIDFF, raconte : « Nous contribuons à la formation de professionnels de la police, de la magistrature, de la santé, de l’aide sociale, en mettant à leur disposition la connaissance que nous avons de la spécificité de la violence faite aux femmes. Notre action vise à s’inscrire le plus efficacement possible dans cette chaîne de protection pour sortir les victimes de l’enfer des violences ».
Autres éléments de la formation : « Avoir des définitions claires sur la loi et se tenir au courant en actualisant ses connaissances juridiques », souligne Mme Casalis. « On sait que ça fait mal mais on sait aussi comment soigner ces souffrances et ces blessures : on peut les soigner donc il faut le faire », martèle-t-elle. Et selon elle, savoir prendre en charge une femme victime est finalement question de logique : « Il faut surtout leur dire "vous avez bien fait de nous parler", "je crois ce que vous me dites", "il n’avait pas le droit de vous faire ça", "je vais vous aider" ».
Crédit photo : Pixland
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