Il paraît que dans l'espace, l'absence de gravité provoque un état de nausée permanente. Mais pas besoin de se retrouver dans une capsule spatiale pour ça : le reportage de Broadly Vice sur les harcèlements dans le domaine de l'astrophysique suffit largement à nous retourner l'estomac. Les témoignages d'astrophysiciennes, qui ont préféré garder l'anonymat afin d'éviter d'éventuelles représailles, nous révèlent la misogynie banalisée et le harcèlement sexuel qui rongent ce milieu très masculin et poussent les femmes vers la sortie.
Des astrophysiciens stars serial harceleurs
Ce phénomène n'est ni récent, ni minime, mais il était relativement méconnu. Un silence pesant, qui était devenu loi d'or dans toutes les universités d'astrophysique. En octobre 2015, c'est l'un des plus éminents astronomes, Geoff Marcy, qui est condamné pour avoir enfreint pendant près de 10 ans les lois en matière d'harcèlement sexuel de l'université californienne de Berkeley. Il a été accusé d'attouchements, de massages forcés et de baisers extorqués. Dans sa lettre d'excuse publique, il admet qu'"il était clair que [son] comportement n'était pas bien accueilli par certaines femmes". Quelques mois plus tard, en janvier 2016, un autre grand nom de l'astronomie, Christian Ott de l'Institut Technologique de Californie (Caltech), défraye la chronique pour la même raison. Il avait été jusqu'à renvoyer une jeune femme qu'il harcelait car d'après le Washington Post, "il était inquiet à l'idée que l'emprise sexuelle qu'elle avait sur lui lui permette de se laisser aller dans son travail, même si elle n'était pas au courant des sentiments qu'il entretenait à son égard ". Il a été suspendu provisoirement mais devrait reprendre son poste malgré tout ça.
Ces événements ont ouvert une brèche : depuis, les témoignages d'harcèlements sexuels de femmes scientifiques se multiplient. Mais comme Mia*, une astrophysicienne spécialiste des trous noirs, le rapporte anonymement à Broadly, "ce n'est que la partie émergée de l'iceberg".
Faire carrière dans le domaine de la physique et de l'astronomie est en vérité incroyablement difficile pour une femme. Mia parle de harcèlements permanents, d'une généralisation totale de la misogynie et d'agressions quotidiennes (insultes, intimidations...). Ces traitements des femmes sont complètement banalisés dans l'astrophysique. L'astrophysicienne estime qu'il est très dur, voire improbable pour une femme dans ce milieu d'échapper au harcèlement sexuel. Attouchements et propositions sexuelles sont monnaie courante auprès des "juniors", les femmes en début de carrière qui n'ont pas le doctorat. Les seniors sont plus victimes de chantage ou d'intimidation : les hommes bloquent très fréquemment l'avancée des carrières des femmes. Mia explique par exemple qu'elle a été menacée par ses collègues masculins qui voulaient s'attribuer le crédit de ses recherches. Comme elle avait refusé, ils l'ont harcelée pendant plusieurs mois, en faisant circuler par email de fausses rumeurs la calomniant.
Katherine* a donné un témoignage similaire à Broadly. A 31 ans, elle a étudié l'astrophysique aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et a été harcelée tout au long de sa carrière. Etudiante en première année, elle a été collée contre un mur par un étudiant qui a tenté de l'embrasser contre son gré. Pendant son année en doctorat, un autre a essayé de forcer la porte de sa chambre et lui a dit de "la fermer" quand elle a voulu en parler parce que "ça le mettrait dans l'embarras". Elle a bien évidemment aussi connu ce qu'elle appelle la misogynie quotidienne, c'est-à-dire toutes les petites réflexions comme "Pourquoi tu ne t'habilles pas de manière un peu plus coquine si tu veux qu'on t'écoute?" lorsqu'elle faisait une conférence, ou encore les conversations dégradantes de deux enseignants qui classent à voix haute leurs collègues féminines en fonction de celles "qui ils aimeraient sauter". "Les pressions sont énormes", insiste-t-elle pour expliquer le silence des astrophysiciennes sur ces traitements. " Si vous décidez d'affronter l'un de vos harceleurs, ils appelleront tous ceux qu'ils connaissent pour leur dire que vous avez inventé vos résultats, que vous avez maquillé ou volé vos chiffres, et tenteront tout ce qu'ils pourront faire pour vous détruire " . Il n'est pas évident, même aujourd'hui, de lutter contre ce type de calomnies et de menaces dans un milieu toujours très misogyne et historiquement contrôlé par des hommes.
La scientifique de la NASA et directrice du comité Christina Richey dénonce le harcèlement sexuel comme "un problème que subissent quotidiennement les femmes" dans l'astrophysique, mais aussi dans de nombreux autres domaines scientifiques, comme la biologie ou les STEM. Ces disciplines sont masculines depuis toujours, et les femmes y restent très largement minoritaires, ce qui renforce la stigmatisation qu'elles subissent. Selon l'enquête datant de 2013 de la American Astronomical Society, à Berkeley, le département d'astrophysique comporte 2 femmes pour 17 hommes, 3 pour 11 au MIT et 1 pour 12 à Harvard. Cela initie un véritable cercle vicieux : l'absence de femmes dans ces milieux renforce le phénomène d'harcèlements sexuels et de mauvais traitements, qui renforcent l'absence de femmes dans ce milieu. Il y a de quoi être découragé en effet : en plus des harcèlements quotidiens et de la misogynie permanente, les passionnées des étoiles toucheraient considérablement moins d'argent que les hommes. Toujours selon la même étude statistique de l'American Astronomical Society, en astronomie, à qualification égale, une femme senior sera payée 20% de moins qu'un homme.
Mais fort heureusement, les affaires Marcy et Ott ont permis de faire le jour sur ce phénomène méconnu; cela permet de commencer à lutter contre ces harcèlements et à aider les femmes à se faire respecter dans ces milieux d'hommes. Le hashtag #astrosh (le "sh" étant l'abbréviation pour "harcèlement sexuel" en anglais) a été créé pour permettre aux femmes de manifester leur soutien aux victimes. Des dérivés comme #biosh ou #stemsh par exemple, sont apparus très vite pour généraliser ce mouvement de soutien aux autres disciplines où les femmes souffrent de traitements similaires.
Un groupe Facebook, Astronomy Allies, a été créé pour que les scientifiques puissent s'exprimer librement sur les harcèlements qu'elles subissent. Un blog, Women in Astronomy, partage en instantané tout ce qui touche au sujet du harcèlement sexuel dans l'astronomie : il a désormais 10 000 visiteurs par mois. Enfin, le Dr Anna Watts , professeur d'astrophysique à l'université d'Amsterdam a fait publier récemment une lettre de soutien collectif aux deux femmes victimes de Christian Ott dans l'affaire de Caltech. Cette lettre, qui a circulé dans tout le milieu, a été signée par plus de 800 scientifiques dans le monde. Elle insiste sur la nécessité de se battre contre le harcèlement sexuel des femmes en astrophysique : "Nous nous élevons maintenant pour nous battre parce que nous n'avons plus d'autre option. Les universités ont un devoir d'attention envers leurs employées qu'elles ne respectent absolument pas. Nous sommes toujours une minorité dans la plupart des départements, mais nous avons des réseaux sociaux internationaux pour nous rassembler et nous faire entendre". Parler ensemble pour lutter contre le risque de représailles et le découragement face à des institutions qui ferment les yeux et des harceleurs agressifs et omnipotents qui peuvent briser une carrière en trois coups de fil : voilà le but de ces mouvements de soutien collectif.
C'est une piqûre de rappel : ce n'est pas parce que toutes les professions sont aujourd'hui ouvertes aux femmes en théorie que la pratique suit, et la lutte pour l'égalité des sexes se joue aussi en silence, dans un laboratoire de recherche ou dans les couloirs d'une université réputée. Les barrières pour les femmes aujourd'hui sont peut-être moins visibles mais elles n'en sont pas moins réelles.