Ce sont des images qui, malgré leur écrin désuet, traversent les années. On y voit John Fitzgerald Kennedy et Jacqueline Bouvier, le sourire radieux, lors de leur cérémonie de mariage en 1953. Sur les épaules de la "lady" Jackie O (et jusqu'à ses pieds), une superbe robe, majestueuse et diaphane. Cet instantané de style fifties marque les esprits. Pourtant, l'on serait bien incapable de répondre à cette question : qui en est à l'origine ? Et c'est pour cela qu'une étudiante en commerce de 19 ans s'est permise, sur Twitter, de nous rappeler l'existence de la très inspirante Ann Lowe.
"La robe de Jackie Kennedy est l'une des tenues de mariage les plus mémorables et les plus imitées de tous les temps. Cependant, sa designer, Ann Lowe, n'a jamais reçu le crédit de son vivant", déplore l'internaute Keyoncé.
Ann Lowe était une styliste afro-américaine de grand talent. Oui, mais pour Jackie Kennedy - que l'on a connue plus élégante - elle n'était rien d'autre qu'une "couturière de couleur". C'est ainsi que la Première dame se serait exprimée suite à la très laborieuse conception de cette robe. Ces oripeaux so chic sont restés dans les annales. Et sa créatrice, elle, est restée dans l'ombre.
Très laborieuse, oui, pour ne pas dire catastrophique. Tel que le relate l'érudite, l'événement fut un cauchemar pour Ann Lowe. La robe qu'elle avait conçue a été détruite 10 jours avant la cérémonie. La cause ? Une inondation. Cela faisait alors deux mois que Lowe et ses assistantes s'acharnaient sur l'ouvrage jour et nuit. En plus de la robe de mariée, l'accident a détruit neuf autres de ses créations. En tout, Ann Lowe sortira 200 dollars de sa poche pour achever en temps et en heure le travail. Jackie Kennedy, alors âgée de 24 ans, n'a jamais caché son mécontentement concernant cette robe "qu'elle n'aimait pas vraiment".
Ajoutez à cela le fait qu'en plus de ce fiasco, la créatrice devait créer de toutes pièces celles des demoiselles d'honneur et de la mère de la mariée, et vous obtenez une petite idée du taux de charge mentale engendré durant ces festoiements. Les mots de Jackie Kennedy à son égard n'en sont dès lors que plus tranchants et rappellent avec quelle aisance certaines "petites mains" aux qualités prodigieuses se sont retrouvées rayées de l'Histoire. Pourtant, il y a tant à dire sur Ann Lowe.
Née à Clayton (dans l'Alabama), initiée dès son plus jeune âge à ce qui deviendra sa grande passion (sa mère et sa grand-mère sont des couturières au service "des riches élites de l'Alabama", nous apprend le site The Lily), Ann Lowe fait très tôt preuve d'une détermination sans faille. Voyez plutôt : à l'âge de seize ans, sa mère meurt. Quatre robes destinées à la première dame de l'Alabama restent ainsi inachevées. Qu'à cela ne tienne, bien qu'endeuillée, la jeune femme achève l'ouvrage toute seule. Deux ans plus tard, Ann Lowe fait ses armes au sein d'une école de mode de New York.
Les administrateurs ne cachent d'ailleurs pas leur surprise, étonnés de voir débarquer une étudiante afro-américaine. Bien que séparée de ses camarades, elle décrochera sans peine son diplôme. Puis la créatrice s'envole pour la Floride. Y reste dix ans. Et, à son retour, trace une carrière de créatrice de mode entièrement dédiée aux noms les plus dorés de la haute société américaine, des Rockefeller aux Roosevelt. "Femme de l'ombre", Ann Lowe le restera toujours, malgré sa présence (symbolique) sur bien des photographies classieuses.
La preuve ? En 1947, narre Keyoncé, Ann Lowe conçoit la belle robe florale que porte la comédienne britannique Olivia de Havilland (Autant en emporte le vent, Les aventures de Robin de Bois), lors de la prestigieuse cérémonie des Oscars. Mais son nom ne figure même pas sur l'étiquette ! Si "les robes uniques d'Ann Lowe étaient extrêmement bien faites et attiraient immédiatement les clients fortunés de la haute société", bien trop souvent, elle effectuait son travail sans remporter le moindre crédit, déplore encore l'internaute sur Twitter.
Symbole malgré elle d'une société qui invisibilise et discrimine les femmes, et plus encore les femmes afro-américaines, la créatrice n'a jamais caché son allergie au snobisme. Quitte à souffrir, précise l'internaute, de son "manque de sens des affaires". Celle à qui l'on doit bien des robes de soirée - et de mariée - affichait une indifférence polie face "au beau monde" et se contentait simplement de dire : "J'aime mes vêtements et je suis particulièrement attentive à la personne qui les portent."
Dit comme ça, il est difficile par-delà l'éclat de cette histoire de la mode d'envisager une réjouissante happy end "à l'américaine". Et pourtant, l'internaute de 19 ans privilégie la positive attitude. Elle nous rappelle que l'héritage d'Ann Lowe a survécu, en dépit de ce mépris. "Ses robes se trouvent dans plusieurs musées, comme le Metropolitan Museum of Art", s'enthousiasme-t-elle. Et son nom, lui, mérite d'être relayé sur les réseaux sociaux et au-delà.