Dans la culture populaire, les scientifiques de la NASA se conjuguent exclusivement au masculin et sont blancs. Loin de cette image réductrice et bien loin de la réalité, des femmes noires, méconnues de tous et dont les travaux ont fourni la base aux plus grandes avancées de l'agence spatiale américaine.
Dans les années 60, alors que les mentalités sexistes et racistes sont encore légion aux Etats-Unis et à une période où seulement 2% des Afro-américaines accèdent à l'université, Katherine Johnson, Mary Jackson et Dorothy Vaughan participent à plusieurs programmes aéronautiques, permettant ainsi aux États-Unis d'envoyer pour la première fois des hommes sur la Lune. C'est en tant qu'ingénieure, mathématicienne et physicienne qu'elles sont enrôlées pour dessiner les trajectoires de décollage et d'atterrissage du programme, pour le lancement en orbite spatiale de l'astronaute John Glenn. Malgré leur rôles plus qu'indispensable, elles sont restées dans l'ombre des astronautes blancs pour lesquels elles travaillaient.
Comme elles, des dizaines d'autres Noirs, hommes et femmes, oeuvrent pour le programme spatial, comme mathématiciens et physiciens, entre 1943 et 1980. Un statut qui ne leur permet pas pour autant d'être épargnés par les lois ségrégationnistes, les forçant alors à utiliser des toilettes séparées de celles des Blancs, à fréquenter d'autres écoles ou encore à ne pas manger dans les mêmes restaurants que leurs confrères.
Le 25 juin 1941, le président Roosevelt signe le décret 8802, interdisant la discrimination raciale, religieuse et ethnique dans l'industrie de la défense du pays. Sensiblement à la même période, vers la fin des années 50, tandis que les Etats-Unis sont en pleine course aux étoiles avec l'URSS, les portes de la NASA s'ouvrent alors à celles que l'on appelle les colored computers ("ordinateurs de couleur"). Il est urgent pour le pays de recruter un nombre important de spécialistes pour concevoir de nouvelles technologies permettant aux avions comme les "Superforteresses" de voler plus vite et plus haut. Mais là encore la ségrégation persiste.
Car loin d'une certaine forme d'acceptation, c'est l'occasion pour le pays de s'offrir des services à bas prix. Car ces colored computers sont toutes des scientifiques noires, démarchées par petites annonces et panneaux d'affichage et payées à moindre coût pour réaliser les calculs qui aideront leurs collègues hommes à écrire l'Histoire, quand en plus elles se doivent de travailler dans une unité de calcul du bâtiment de la NASA autre, l'aile ouest.
Commence alors une guerre froide avec l'URSS, qui lance un premier un satellite dans l'espace, du nom de Spoutnik, en 1957. Un événement qui ne fait qu'accroître la pression sur les Etats-Unis pour gagner cette course spatiale. En 1958, la NASA est alors créée - on la connaît avant sous le nom de Comité consultatif national pour l'aéronautique, "NACA" -, regroupant toutes les activités spatiales. S'en suivront à partir de là, d'autres programmes plus ambitieux les uns que les autres, comme le projet Mercury, premier programme américain de vol spatial habité, jusqu'au fameux vol orbital autour de la Terre de l'astronaute John Glenn et de son équipe, le 20 février 1962.
Avant de se battre à cause de leur couleur de peau - si ce n'est en même temps, ces figures de l'ombre afro-américaines ont dû prouver à des hommes, qu'elles aussi avaient leur place au sein de la NASA et pouvaient mener à bien une mission qui, elles le savaient sans doute, allait devenir historique. Katherine Johnson est l'une de ces pionnières.
Fille d'un bûcheron et d'une enseignante, elle obtient très tôt son bac, à l'âge de 14 ans. Un diplôme qui lui vaut, comme trois autres étudiants afro-américains, d'intégrer l'université de Virginie-Occidentale dont elle sort diplômée d'une licence en mathématique à seulement 18 ans. La jeune femme postule alors pour intégrer le centre de recherches de Langley, le plus célèbre des laboratoires de la NASA. Elle est embauchée en tant que data analyst, en 1967. Katherine Johnson travaille ainsi sur les missions les plus importantes de son époque : le programme Mercury, Apollo 11 et Apollo 13. Elle calcule également, seule, la trajectoire d'Alan Shepard, premier américain à voyager dans l'espace. Une situation d'autant plus symbolique car, si l'adoption de la loi sur les droits civiques est signé en juillet 1964, les mentalités sont plus lentes à évoluer que les lois. Ce qui explique sûrement que ce n'est qu'en 2015, alors âgée de 98 ans, que le dévouement et le travail de Katherine Johnson seront récompensés par le gouvernement qui lui remettra la médaille présidentielle de la Liberté, plus haute distinction civile américaine et équivalent de la Légion d'honneur, en France.
Mais on retient également Dorothy Vaughan, aujourd'hui décédée, qui est l'une des premières femmes embauchées par ce qui s'appelait encore la NACA, en 1943 mais surtout la première personne noire à diriger une équipe, à cette époque.
A ses débuts, Dorothy Vaughan est enseignante en mathématiques, avant d'être engagée en tant que computer, en 1951 - peu de temps avant que Katherine Johnson ne la rejoigne. Elle y travaille 28 ans et sera notamment l'une des premières scientifiques de l'agence à maîtriser le code informatique et plus spécifiquement le langage de programmation FORTRAN. Dorothy Vaughan contribuera notamment au programme spatial grâce à son travail sur le projet Scout, un programme d'exploration de la planète Mars.
Mary Jackson fait aussi partie de ces colored computers forcées de travailler à l'écart de tous, dans le l'aile ouest de la NASA. Mais avant d'oeuvrer dans les industries de la défense, la scientifique enseigne dans le Maryland, fraîchement diplômée de l'Institut Hampton. Ce n'est que plus tard, en 1951, qu'elle fait ses armes à la NASA en tant que mathématicienne de recherche.
Après cinq ans passés là-bas, Mary Jackson rejoint un programme spécial de formation et est promue ingénieur en aérospatiale. Par la suite, elle aura la charge des bases de données de profils hydrodynamiques et aérodynamiques pour, quelques années plus tard, être assignée à travailler directement avec les ingénieurs de vol de la NASA. Et c'est sensiblement à cette même période qu'elle fera la rencontre de Dorothy Vaughan et Katherine Johnson.
En parallèle, Mary Jackson fait des inégalités raciales le combat de toute une vie. Elle accompagnait ainsi les femmes issues de minorités dans leur carrière, en les conseillant notamment sur la démarche à suivre pour changer leur titre de "mathématicien" à "ingénieur" (un poste plus gradé donc), pour augmenter leurs chances de promotion. Et, après 34 ans au service de la NASA et après avoir atteint le plus haut poste de l'ingénierie possible, la scientifique décide de changer de poste et d'officier dans le bureau en charge de l'égalité des chances. Elle travaille à la NASA jusqu'à son départ à la retraite, en 1985.
Ces trois femmes visionnaires - parmi tant d'autres scientifiques noirs - ont finalement franchi toutes les barrières de sexe et de race, pour inspirer les générations à venir qui, petit à petit, tendent à restituer comme il se doit certaines bribes de l'Histoire.
Et pour rendre hommage à ces femmes d'exception, un livre sorti en septembre, aux Etats-Unis : Hidden Figures ("Figures de l'ombre"), de l'auteure Margot Lee Shetterly. Un film adapté de ce livre sortira également sur les écrans américains début 2017 avec Taraji Henson (la fabuleuse Cookie de la série Empire) , Octavia Spencer (La couleur des sentiments) et la chanteuse Janelle Monáe dans les rôles des scientifiques.
Même cinquante ans plus tard, le parcours de ces femmes révélé à travers ces oeuvres résonnent avec une acuité particulière, alors que l'Amérique est régulièrement secouée par des faits divers de nature raciale.