Elle a signé l'un des films coup de poing de cette année 2016. Avec son exaltant premier long-métrage Divines, Caméra d'or au dernier Festival de Cannes, la réalisatrice Houda Benyamina a renversé les codes, bousculé les stéréotypes et fait chavirer les coeurs. Celle qui a fait rougir le Croisette avec sa saillie féministe "T'as du clito" sera mise à l'honneur du Festival de cinéma européen des Arcs dans le cadre du cycle Nouvelles femmes de cinéma. Nous en avons profité pour interroger cette cinéaste passionnée et passionnante sur sa place dans le milieu encore très masculin de la réalisation et sur ses inspirations.
Je pense que c'est le fait qu'il n'y ait pas assez de femmes aux postes décisionnaires que ce soit dans les boîtes de production, au sein des chaînes de télévision ou dans les commissions qui attribuent les financements. Ceci contribue à donner une tendance, une sensibilité, un point de vue véhiculés par les hommes et au sein desquels on peine à retrouver la diversité sociétale. Il est édifiant d'observer qu'il y a à peu près autant d'étudiants que d'étudiantes dans les écoles de cinéma et qu'à l'arrivée, les hommes supplantent les femmes en terme de représentation. A compétence égale, il faut encore et toujours redoubler d'efforts pour exister. On demande à la femme d'être exceptionnelle pour sortir du lot. Comme je l'ai déjà dit, un pas sera franchi lorsque, nous les femmes, nous aurons aussi le droit à la médiocrité.
Oui, je me souviens qu'à mes débuts, j'ai dû faire face à une forme de sexisme qui est presque intériorisée par les hommes. Lorsque j'avais des chefs de poste à diriger par exemple, surtout ceux qui étaient très techniques et habituellement très masculins, comme chef opérateur, je sentais que c'était plus compliqué : ils me faisaient très peu confiance, ne me prenaient pas au sérieux, et ce, pas seulement parce que j'étais jeune ou inexpérimentée mais surtout parce que j'étais une femme et qu'ils n'avaient pas l'habitude de suivre des directives qui n'émanaient pas des hommes.
Encore une fois, en tant que femme, vous devez prouver davantage, faire vos preuves encore et toujours. On ne vous pardonne pas la moindre erreur. Mais finalement, comme je suis du genre à ne jamais me laisser abattre et à me répéter qu'il n'y a pas d'échec, toujours une leçon, mes débuts m'ont beaucoup appris : certes, j'ai dû redoubler d'efforts, argumenter davantage qu'un autre mais ceci m'a permis d'être plus précise dans mes directives et d'affermir mon autorité.
Je pense que la question du genre n'est pas pertinente ici et que le clivage homme / femme est par trop réducteur. Chaque être humain a une approche différente, qu'il soit homme ou femme et ce, en fonction de dizaine de critères : son histoire, sa sensibilité, son éducation, son parcours, etc. Je ne crois pas en l'essentialisme et pour moi, deux femmes de milieux sociaux différents ont parfois moins en commun qu'un homme et une femme issus de la même classe. Le renouveau du cinéma viendra par la singularité des points de vue, pas par des catégorisations simplistes et artificielles.
Je dirais que c'est la Trilogie du Parrain par Francis Ford Coppola. C'est une fresque magnifique qui regroupe toutes les thématiques importantes que sont l'amour, la famille, la politique mais aussi la réussite ou la trahison. J'aime le trajet des personnages, leur ascension jusqu'à la chute. C'est tellement complexe ! Jamais une oeuvre, pour moi, n'avait regorgé d'une telle richesse thématique, narrative, esthétique et cinématographique.
Rosa Parks ! Ce que j'aime dans l'acte qui l'a rendue célèbre c'est bien sûr le geste de révolte, le " non " qui initie le soulèvement, le courage et la force de caractère qui y président. Mais c'est aussi tout ce qu'il représente en terme de symbolique. Car Rosa Parks était noire mais aussi femme. Et c'est ce qui me fascine d'autant plus : son acte a donc du sens non seulement pour les noirs mais aussi pour les femmes. Car on ne peut pas réclamer les droits de l'un sans penser aux droits de l'autre. Toutes les inégalités ont ce point commun qu'elles découlent d'une différence perçue comme telle par des standards érigés en normalité absolue. Si l'on veut parvenir à une égalité réelle de tous entre tous, il n'est plus temps de segmenter les combats. Il est nécessaire, au contraire, que ces problématiques dépassent la question du genre et des intérêts particuliers.
Jeanne d'Arc aussi, d'une certaine manière, m'inspire beaucoup en ce qu'elle a montré que le courage guerrier et l'autorité pour mener des troupes n'étaient pas l'apanage des hommes. C'est presque anachronique quand on pense que des siècles plus tard, on hésite encore à nommer des femmes à la tête d'entreprises ou d'organisations.
Je dirais Thelma et Louise de Ridley Scott mais je trouve que juger ce film à l'aune du féminisme ne rend pas compte de sa complexité. Je ne m'en satisfais donc pas. En général, ce n'est pas parce qu'un film parle des femmes ou est dirigé par une femme, que je vais forcément l'aimer. Il peut même remplir le "test de Bechdel" et au final être un film inintéressant. Il n'y a pas de grand film qui ne soit avant tout humaniste et qui traite de problématiques dans lesquelles tout un chacun se reconnaît.
Pour moi, la plus grande réplique féministe se trouve dans Divines avec le fameux "t'as du clito". Avec cette réplique, je n'ai pas cherché à féminiser une expression existante qui n'aurait été que le pendant d'un référent masculin. Je cherchais au contraire l'absolu et "t'as du clito" existe en soi pour montrer que le courage, la détermination et l'ambition sont des qualités qui sont humaines avant d'être attribuées à tel ou tel sexe et que par conséquent les femmes peuvent et doivent s'en emparer sans complexe. J'espère que cela aidera à changer les mentalités.
Kate Winslet ! J'adore ce qu'elle est et ce qu'elle représente. Elle a interdit qu'on retouche ses photos par exemple et ça, pour moi, c'est un vrai acte de militantisme à l'heure où les femmes sont de plus en plus perçues comme un objet – de regard, de désir – et où la publicité et les médias en général façonnent une normalité féminine qui ne reflète pas les mille et une réalités des femmes d'aujourd'hui. Mais cette normalisation du "beau" et du "parfait" véhiculée par l'usage massif de Photoshop touche aussi les hommes en ce que la "masculinité" se trouve elle aussi fantasmée. Ainsi, par cet acte, Kate Winslet a dépassé sa propre condition de femme et c'est encore ce qui m'intéresse. En terme de jeu ensuite, je la trouve juste phénoménale ; elle a une palette de jeu incroyable et peut tout interpréter. Elle a une grande humanité et ce grain de folie que je recherche en chacun de mes acteurs.
En premier lieu, ma mère parce que c'est quelqu'un de fort et de très libre et qui a toujours été mon modèle en terme de droiture et d'ouverture d'esprit. Ensuite, Djamila Bouhired (militante du FLN- Ndlr) parce que c'est quelqu'un qui, littéralement, aurait pu mourir pour ses idées. Elle n'a pas hésité à aller en prison et à abandonner sa liberté physique pour ne pas les trahir. Il est rare de rencontrer des gens aussi cohérents avec eux-mêmes. La cantatrice Maria Callas enfin, parce qu'elle a transcendé son art et lui a voué sa vie.
Je dirais que c'est Christiane Taubira. Sans verser dans le politique, j'ai admiré son courage lors des débats houleux pour le " Mariage pour tous ". Des mois durant, elle a su tenir bon dans l'hémicycle, qui est quand même l'antre du machisme, pour défendre et porter un projet de société fort et nécessaire. Le discours, en particulier, où elle cite le poète Léon-Gontran Damas, et interpelle l'assemblée avec "Nous les gueux" m'a fascinée tant il en émanait une colère juste et salvatrice, une urgence de dire et d'établir une égalité réelle pour tous. C'est quelqu'un qui par la maîtrise du verbe a réinvesti le discours politique en l'affublant d'une vraie capacité d'action et en le sortant de sa vacuité habituelle.
Cycle "Nouvelles femmes de cinéma" au Festival de cinéma européen des Arcs, du 10 au 17 décembre 2016