cinéma
"Divines" : rencontre avec trois jeunes actrices qui ont de la gueule
Publié le 30 août 2016 à 18:09
Par Anaïs Orieul
Récompensé par la Caméra d'or au dernier Festival de Cannes, "Divines", le premier film d'Houda Benyamina, n'est pas qu'un film de plus sur la banlieue. L'adolescence, l'amitié, la fureur de vivre, sont au centre de cette pépite bouillonnante. On a rencontré les trois actrices qui portent le film, Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Jisca Kalvanda. Trois filles talentueuses et qui ont de la gueule.
Le film Divines, récompensé au festival de Cannes Le film Divines, récompensé au festival de Cannes© Diaphana
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Ovationné pendant 10 minutes lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2016, Divines a rapidement éveillé la curiosité. La réplique déjà culte : "C'est bien, t'as du clitoris" résume à elle seule le premier film D'Houda Benyamina. Divines bouleverse les codes, les genres. Pour s'élever au-dessus de sa condition, Dounia (Oulaya Amamra) est prête à tout, même à se transformer en dealeuse pour le compte de Rebecca (Jisca Kalvanda), sorte de Tony Montana au féminin. Fureur de vivre chevillée au corps, elle emporte dans son sillage Maimouna (Déborah Lukumuena), meilleure amie loyale à la vie à la mort.

Le renversement des codes donc, est au coeur de Divines. Mélange de récit initiatique, de film de gangster et de buddy movie féminin, le film en profite aussi pour bousculer notre vision toujours très normée de l'homme et de la femme. Ici, la sensibilité, la grâce et l'art sont laissés à Djigui (Kevin Mischel), le garçon convoité par Dounia, tandis que la violence et la quête de pouvoir sont le moteur des adolescentes. Tragédie contemporaine plutôt qu'énième film de banlieue, Divines bouleverse par sa justesse, son énergie et son lyrisme. On a voulu savoir comment les jeunes actrices qui portent le film avaient vécu cette expérience. Rencontres avec Oulaya, Déborah et Jisca, trois jeunes filles qui iront loin, c'est une évidence.

Terrafemina : Le Festival de Cannes, c'était il y a trois mois, vous avez été prise dans un vrai tourbillon de folie. Il s'est passé quoi pour vous depuis ?

Oulaya Amamra : En fait, il ne s'est pas passé grand-chose. Là, avec la sortie du film, il va se passer des choses. Mais depuis Cannes, personnellement, rien n'a changé dans ma vie. Je n'ai pas reçu des appels pour me proposer des tournages. J'ai passé des castings mais pas plus.

Déborah Lukumuena : On s'attendait à ce que Cannes soit une grande vague et que la suite soit une sorte de creux. Après, c'est vrai qu'il y a eu une sorte de curiosité grandissante autour du film.

Dans Divines, il y a plusieurs grands thèmes qui s'entrecroisent. Mais selon vous, quelle est la thématique la plus importante du film ?

Oulaya Amamra : Pour moi, il y en a deux qui sont équivalentes : la dignité et la grande histoire d'amitié entre Dounia et Maimouna.

Jisca Kalvanda : Pour moi, c'est surtout la dignité qui est au centre.

Divines est aussi une espèce de mise en garde vis-à-vis de l'obsession de l'argent. Est-ce que cette critique de la société a eu un impact sur vous en tant que jeunes femmes ?

Oulaya Amamra : Personnellement, ça m'a fait relativiser. Quand je vois tout ce qu'elle a vécu cette fille, je me dis que je ne pourrais jamais vivre pire. Tout ce qui peut m'arriver dans ma vie, même des choses graves, je me dis que je ne dois pas oublier ce qu'elle a vécu Dounia même si elle est fictive. Je me dis que je ne dois pas oublier ce que j'ai vécu quand j'ai dormi au camp de roms pour préparer mon rôle. Donc finalement, tout ça m'a rendu beaucoup plus forte.

Oulaya et Déborah, vous ne vous connaissiez pas avant le film. Comment avez-vous bâti l'amitié fusionnelle qui unit vos personnages ?

Oulaya Amamra : En fait, c'est assez particulier. Avec Déborah, on s'est rencontrées lors des castings. Et la première fois qu'on s'est vues, on devait jouer la scène où on est défoncées avec un joint et qu'on pique un fou rire. Sauf qu'on a pris un véritable fou rire. C'était comme une évidence. On s'est regardé, on a rigolé. Et on avait qu'une envie c'était de se retrouver. On ne voulait pas qu'il y ait d'autres Dounia et d'autres Maimouna. Et finalement, quand je l'ai revue et que je me suis rendue compte que c'était elle qui était choisie, j'étais très, très heureuse. Je me suis dit : "On est dans le même bateau et il va vers la victoire".

Vous avez tourné le film il y a un an. Est-ce que ça fait bizarre de revenir en parler après autant de temps ?

Jisca Kalvanda : Justement, on est loin d'avoir tourné la page. Actuellement, on porte encore le film. Même pendant le montage, on a tous gardé des liens. Aujourd'hui on se voit encore beaucoup, c'est devenu notre routine. En plus après le montage il y a eu la post synchro, puis un nouveau tournage. Donc on a dû se remettre dans nos personnages. Puis après, il y a eu Cannes. Moi, j'avais pris un peu de recul entre temps. Et quand j'ai vu le film, je ne me voyais pas moi à l'écran, je voyais mon personnage, je voyais Rebecca.

Déborah Lukumuena : Pour nous, je pense que c'est encore frais. C'est encore très facile d'en parler du coup.

"Divines" © Easy Tiger
Après la projection presse du film à Paris, vous expliquiez que vous aviez regardé des films de gangsters pour vous préparer. Est-ce qu'il y a des femmes ou des personnages féminins forts qui vous ont inspiré également ?

Oulaya Amamra : J'ai regardé tous les Alien. J'ai été hyper inspirée par Ellen Ripley, par sa force. C'est une vraie guerrière.

Jisca Kalvanda : De mon côté, je ne suis pas allée chercher des personnages féminins au cinéma puisque j'avais la vraie femme qui a inspiré mon personnage à mes côtés. Je l'ai beaucoup vu. A la base, elle devait tenir son propre rôle. Et comme je traînais beaucoup dans les pattes d'Houda, je la côtoyais sans savoir que j'allais obtenir le rôle. Puis quand j'ai finalement eu le rôle, j'ai encore passé du temps avec elle pendant un mois. Après, j'ai regardé des films de gangsters, comme Scarface.

Déborah Lukumuena : Moi je n'ai pas regardé de films de gangsters, ça ne va pas avec le personnage. Mais j'ai regardé beaucoup de films qui impliquaient un duo. Thelma et Louise d'abord. Puis Mean Streets. Et c'est dingue, parce qu'Oulaya et moi on a regardé ce film-là mais pas pour les mêmes raisons. Elle, elle était centrée sur Harvey Keitel, qui a une espèce d'image de leader dans ce film. Et moi, j'étais plutôt centrée sur Robert De Niro, qui joue un homme assez gauche. Houda nous avait aussi demandé de regarder des épisodes de Laurel et Hardy. Et c'était intéressant par rapport à la disposition des corps et puis cette sorte d'inversion. Le petit c'est le plus hargneux et coléreux alors que l'autre, le plus grand et le plus gros, il est plus tendre, plus généreux.

Et puis il y a une scène qui se déroule dans la chambre de Maimouna. Houda voulait qu'on colle des petits posters et elle m'a demandé si on collait plutôt des photos de Beyoncé ou de Rihanna. Et moi j'ai dit que Maimouna pencherait plus pour Beyoncé. Parce qu'elle représente la femme moderne, avec des formes, qui s'assume pleinement. Et Maimouna, elle est avancée sur son âge. A 15 ans, elle a déjà un côté très femme. D'ailleurs, le personnage de Dounia au début a de la méfiance envers les hommes, alors que Maimouna a une approche de l'homme assez direct.

Justement, le rapport aux hommes dans Divines est très moderne. Le film est complètement dans le "female gaze" – cette théorie créée en opposition au "male gaze" et qui objectifie l'homme plutôt que la femme. Rebecca est en charge de sa sexualité, et c'est le corps de Djigui qui est perçu comme un objet de désir etc. Avez-vous en conscience de ce renversement des rôles ?

Déborah Lukumuena : Tout à fait. Je pense qu'Houda a une vraie volonté de casser les codes, parfois encore trop archaïques. Elle veut casser l'image de la femme objet de l'homme. Comme elle le dit si bien, la grâce et la tendresse ne sont pas la propriété de la femme, et la violence et la liberté sexuelle ne sont pas l'apanage de l'homme. Du coup, il y a eu une inversion de ces codes. Elle a beaucoup joué avec et c'est vrai que c'est totalement contemporain ces jeunes femmes qui assument pleinement leur sexualité.

Oulaya Amamra : Je suis complètement d'accord. La scène où Jisca ouvre la porte de chez elle avec cette espèce de toy boy très sexy, je trouvais ça hyper audacieux. D'ailleurs, pour moi, celle qui représente encore le plus cette modernité, c'est la mère de Dounia. Elle est complètement libre. D'ailleurs elle dit qu'elle est libre de baiser. Elle le dit et elle s'en fout. Avec la mère, Houda voulait vraiment créer un personnage de femme libre. Si c'était un homme qui avait tenu ce rôle, ça n'aurait choqué personne. Mais parce que c'est une femme, elle va tout de suite être perçue comme une pute.

Diriez-vous que Divines est un film féministe ?

Déborah Lukumuena : Oui, c'est sûr ! Après, je me demande toujours si on va demander à des acteurs qui font partie d'un film au casting 100% masculin si leur film est masculiniste... si je dis ça, c'est parce qu'il y a des gens qui ont cru que Divines était un film contre l'homme. On a reproché ça à Houda. Alors qu'elle aime l'homme aussi bien que la femme. D'ailleurs, le seul personnage qui s'en sort bien est un homme. J'ai envie de dire que c'est un film humaniste. Aussi, je pense que c'est un rééquilibrage de la balance, tout simplement.

Oulaya Amamra : D'ailleurs, l'homme le plus important du film représente la grâce.

Jisca Kalvanda : Juste parce que les codes sont inversés, parce que c'est Dounia qui sauve Djigui a un moment donné, ça dérange. Un homme a le droit d'être gracieux, amoureux. Et je me demande pourquoi ça dérange !

Déborah Lukumuena : Encore une fois, comme le dit Houda, rien n'appartient à aucun genre. Il faut redéfinir les codes de la féminité comme de la masculinité.

Divines © Easy Tiger
Après la projection presse, Déborah, vous avez dit que le "cinéma français n'est pas le reflet de sa population". Vous aujourd'hui, en tant que jeunes filles de couleur françaises, où allez-vous chercher vos modèles ?

Oulaya Amamra : Je pense que malheureusement, le cinéma est assez élitiste. C'est réservé à un type de personnes. C'est pour ça que je trouve ça génial qu'Houda ait créé l'association 1000 visages, qui démocratise le cinéma et qui permet aux jeunes issus de banlieue mais aussi aux jeunes désaxés et délocalisés – qui ne sont pas proches de ce milieu, qui vivent en province – d'avoir accès à des métiers qui touchent au cinéma. Même l'éducation du cinéma et du théâtre, elle est réservée à une élite. Par exemple, moi j'ai passé le concours du conservatoire cette année, et je trouve ça quand même fou qu'on nous demande d'avoir le Bac et d'avoir fait trois ans dans un conservatoire d'arrondissement. C'est un vrai problème. On fait comment si on est talentueux mais qu'on n'a pas d'argent pour aller dans un conservatoire d'arrondissement ? Bah on se coupe les ailes. Donc j'espère que Divines va changer quelque chose dans la façon de penser des gens. Qu'ils vont se dire que c'est possible. Quand Houda disait à Cannes que le festival était à nous, ça m'a parlé. C'est un beau message d'espoir. On avance progressivement mais il faut encore beaucoup de films comme ça pour que les choses changent.

Déborah Lukumuena : Concernant la notion de modèles, j'ai envie de dire que si on avait attendu qu'il y ait des modèles, on ne se serait jamais lancées. C'est dingue parce qu'on nous parle souvent d'Omar Sy et je ne pense pas qu'il ait attendu qu'il y est quelqu'un devant lui pour oser. J'admire son parcours mais je n'ai pas attendu qui soit là pour nourrir mon envie et ma soif. C'est une lancée purement égoïste. Après, j'ai pas la prétention de me dire qu'un jour je serai un modèle, mais pourquoi pas ? Pour les générations qui viendront derrière nous, c'est important. Il faut commencer quelque part et ne pas attendre que quelqu'un commence. Houda n'a pas attendu que quelqu'un fasse un film. Elle est partie d'une colère, d'un sentiment d'injustice, d'une histoire à raconter. Elle n'a pas attendu que quelqu'un fasse un film similaire pour se lancer.

Jisca Kalvanda : C'est vrai, on ne devrait pas être en attente de modèles. On devrait juste tenter et si on se noie, au moins ceux qui viendront derrière nous en prendront de la graine et prendront leurs précautions.


Divines, d'Houda Benyamina, avec Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Jisca Kalvanda, Kévin Mischel

Durée : 1h45

Sortie: 31 août 2016

Mots clés
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