"La nuit du 12", c'est l'histoire de Yohan, banal mais très consciencieux officier de la police judiciaire qui voit sa vie bouleversée lorsqu'il doit prendre en charge en compagnie de son collègue Marceau une affaire sordide : le meurtre d'une jeune femme, Clara, brûlée vive en pleine rue alors qu'elle rentrait chez elle, dans la nuit du 12. Ce n'est pas juste un dossier de plus pour lui : c'est une obsession. Car l'image de Clara ne le quitte pas.
Et l'évolution de cette affaire va peu à peu bousculer sa vision du métier, mais aussi des hommes et du système dont ils profitent. Un pitch de pur polar qui se confond avec les grands enjeux de notre société post-#MeToo ? Il suffisait d'y penser, Dominik Moll et son scénariste Gilles Marchand l'ont fait, et bien leur en a pris : La nuit du 12 a remporté six Césars, dont celui du Meilleur film.
Et aujourd'hui, vous pouvez le (re)voir gratuitement en streaming sur le site de francetv. On vous le recommande d'ailleurs plutôt deux fois qu'une. Mais pourquoi ?
Pourquoi redécouvrir La nuit du 12 ? Car c'est un polar haletant, qui assume les codes du genre tout en s'en jouant habilement pour mieux servir son discours. On pense par exemple à cette scène où l'enquêteur interroge la meilleure amie de la victime. Bientôt, l'interrogatoire se renverse, et c'est l'enquêteur qui se voit questionné sur ses propres questions : juge-t-il l'attitude la victime ? ses gestes ? en quoi cela est-il si important ? C'est toute une scène sur le "victim blaming" qui se voit déployé sous nos yeux, et ce n'est pas si courant.
Six César parmi lesquels l'on pourrait également évoquer ceux de la Meilleure réalisation, Meilleure adaptation, Meilleur acteur dans un second rôle pour Bouli Lanners, Meilleur espoir masculin pour Bastien Bouillon, sont donc venus récompenser un film critique sur les féminicides, la justice, et plus globalement la domination masculine et les formes qu'elle revêt. On va découvrir au fil de l'eau les quelques suspects et chacun incarne une facette de cette domination : violence verbale, physique, misogynie banalisée, culture du viol...
Cela va du jeune homme aux ricanements imbéciles au rappeur en herbe déployant l'étendue de son sexisme sous couvert de "punchlines" et d'intentions artistiques - à moins qu'il ne faille séparer l'homme de l'artiste ?... Comme une envie de toucher du doigt les multiples formes d'un mépris de la femme qui ne dit pas toujours son nom. Des scénettes percutantes, tout comme l'assertion décochée par une policière : "Dans notre société, ce sont toujours les hommes qui sont chargés d'arrêter les hommes qui tuent les femmes".
D'autant plus fort d'ailleurs que même les protagonistes ne ressortent pas forcément glorifiés de ce passage au crible des masculinités. Ainsi l'excellent personnage Marceau se plaît-il à dénoncer la chasse aux sorcières dont furent victimes les femmes il y a des siècles, tout en sombrant volontiers dans une attitude impulsive et toxique. A ne surtout pas louper !