Yohan, enquêteur de la PJ, voit sa vie bouleversée lorsqu'il doit prendre en charge une affaire sordide : le meurtre d'une jeune femme, Clara, brûlée vive en pleine rue alors qu'elle rentrait chez elle. Cette enquête va l'obséder et, petit à petit, bousculer sa vision du métier, mais aussi des hommes et du système dont ils profitent..
Ca, c'est le pitch de La nuit du 12 de Dominik Moll, auteur remarqué pour le fascinant Harry, un ami qui vous veut du bien. Ce film est l'un des grands favoris de la 48e cérémonie des César qui se tient ce 24 février. Il pourrait remporter jusqu'à 10 statuettes, parmi lesquelles celles du Meilleur film et de la meilleure réalisation. Mais comment expliquer ce sacre annoncé ?
En apparence, on tient là une histoire classique de flic obsédé, qui va dédier son temps et son esprit à une enquête dont il espère trouver la clé En apparence seulement. Car cette oeuvre qui a réunit plus d'un demi million de spectateurs en salles n'est autre que le premier polar français à évoquer frontalement des enjeux féministes essentiels. Ce qui ne peut que nous réjouir.
Féminicides, violences masculines, culture du viol, slut-shaming, chasse aux sorcières, sexisme ordinaire... Rien n'a échappé au cinéaste et à son scénariste Gilles Marchand. Au fur et à mesure de "l'affaire Clara", le capitaine Yohan (Bastien Bouillon) et son collègue Marceau (Bouli Lanners) vont passer au crible chaque suspect. Et chacun représentera une facette de la violence masculine, du rappeur misogyne à l'auteur de violences conjugales. Tant et si bien que nos protagonistes en concluent : "Ce sont tous les hommes qui ont tué Clara, c'est un problème entre les hommes et les femmes". Une manière de nous rappeler que l'oppression patriarcale n'a ni âge, ni visage unique.
La nuit du 12 est un film mis en scène par un homme, écrit par des hommes, avec un casting majoritairement masculin. Comment dès lors traiter avec justesse ces enjeux féministes ? Simple : en faisant de cette question le coeur-même du film. Ainsi lorsqu'intervient en fin de parcours une policière (enfin !), celle-ci constate : "Dans notre société, ce sont toujours les hommes qui sont chargés d'arrêter les hommes qui tuent les femmes".
Le genre investi, le polar, est lui aussi très "viril". Et sera déboulonné. Rapidement, Yoann comprend que sa méthode d'interrogatoire, vue maintes fois (cuisiner les proches de Clara quant à ses fréquentations) est sexiste et repose sur le stéréotype de la "fille facile", qui aurait un peu "mérité" son sort.
Au début du film, la présence masculine est naturelle. Plus le récit progresse, plus elle démontre ses limites, jusqu'à l'autocritique évidente. Ainsi le personnage de Marceau, fera usage de violence... envers un auteur de violences. Loin du chevalier blanc, il est avant tout un homme hanté jusqu'à l'obsession par son ex-femme.
La nuit du 12 n'est pas une simple enquête. Comme dans le Zodiac de David Fincher, celui qui espère trouver le fin mot de l'histoire sera déçu. Le sujet explicite du film, c'est le patriarcat et tout ce qu'il implique : violences faites aux femmes, féminicides, entre soi masculin (des présumés coupables à la justice), préjugés sexiste de la "bonne" ou de la "mauvaise" victime. En cela, c'est l'un des premiers grands films français post-#MeToo.
Et alors que les réalisatrices se sont vues carrément snobées par les César cette année (pas d'Alice Winocour, de Rebecca Zlotowski ou d'Alice Diop en Meilleure réalisation), on aimerait (vraiment) beaucoup qu'une oeuvre aussi ambitieuse et déconstruite remporte le jackpot lors de cette cérémonie. On croise les doigts ?