Culture
Lanskoy, un peintre russe exposé au LaM (Lille)
Publié le 9 novembre 2011 à 09:30
Par Véronique Vanhove
Le LAM, musée d’art moderne de Villeneuve d'Ascq (59), expose « Lanskoy, un peintre russe a Paris », jusqu'au 15 janvier 2012. C’est la première rétrospective d’envergure de ce peintre installé à Paris dans les années 20, adulé des grands collectionneurs nordistes, dont l’héritage se retrouve aujourd'hui dans le musée lillois.
Lanskoy, un peintre russe exposé au LaM (Lille) Lanskoy, un peintre russe exposé au LaM (Lille)
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Le choix de présenter cette exposition rétrospective consacrée à André Lanskoy dans notre région et dans le musée d’art moderne de celle-ci le plus emblématique n’est pas anodin. Il  nous rappelle le lien privilégié que cet artiste noue avec le Nord.

Un peintre russe dans le Nord

Roger Dutilleul (1873-1956) collectionne la peinture d’avant-garde depuis vingt ans –Braque, Picasso, Léger, Modigliani- quand il rencontre Lanskoy à Paris en 1925. Touché par la spontanéité naïve et l’expressivité colorée de ses œuvres, il en achète régulièrement et devient son mécène unique en 1929 quand l’artiste peine à subsister. Jean Masurel, neveu et héritier spirituel de Dutilleul, poursuivra dans cette démarche d’amitié et de curiosité pour son travail. C’est ainsi que le LaM, musée d’art moderne de la ville de Villeneuve d’Asq, possède un ensemble unique de son œuvre aussi bien figurative qu’abstraite, et mêlant les différents supports que l’artiste a employés.

Jean Dutilleul dans son intérieur 1931

Lanskoy, reçu à Mouvaux chez  les Masurel, dialoguait avec Eugène Leroy,  Eugène Dodeigne ou  Arthur Van Hecke, et contribuait à la formation du goût local, la création de lieux d’exposition, le développement du nombre demécènes, la plupart issus du patronat régional. Tous l’ont exposé et beaucoup de ses œuvres sont présentes dans des collections privées de la région.

Les années 20 hantées par le folklore russe
L’exposition qui s’est ouverte au LaM le 23 septembre dernier (jusqu’au 15 janvier 2012),  couvre environ cinquante années de la carrière artistique d’André Lanskoy, depuis l’année 1921 où il arrive à Paris de sa Russie natale jusqu’à l’été 1976 où il meurt dans son atelier parisien.
Il fréquente le milieu avant-gardiste russe, très présent à Paris, expose avec des peintres russes, et la culture et le folklore russes affleurent dans ses œuvres tout comme dans celles de Serge Poliakoff, Marc Chagall ou Chaïm Soutine. C’est ainsi que toute cette exposition est jalonnée d’oeuvres de ces artistes  et d’autres qu’il fréquentera, de façon à  replacer son travail, ses recherches et explorations dans le contexte le plus juste de l’art et de son histoire. Leur peinture, dite « naïve », se définit surtout par des élans instinctifs, spontanés, une « singulière fraîcheur de perception ». Chez Lanskoy, il s’agit soit de portraits, soit d’intérieurs, où  il  privilégie les tons pastel, des groupes de musiciens, des familles réunies autour d’une table, des atmosphères intimes, hors du temps, où le rêve s’invite volontiers. Il aime à démultiplier les points de fuite, il joue d’une couleur dominante qui baigne toute la toile comme dans « Famille rose ».

Famille rose, 1938-1940

Abstrait et gouaches
A partir de 1937, Lanskoy s’achemine vers l’art abstrait. Il schématise d’abord de façon géométrique les figures humaines, espaces et objets. Roger Dutilleul  qui acquiert des œuvres de Kandinsky, lui fournit une source d’inspiration. Pendant la guerre, il expérimente la gouache sur des petits formats. La série des 31 gouaches présentées au LaM est à elle seule admirable. Inventivité, foisonnement de formes, agencement de couleurs d’une harmonie merveilleuse,  décomposition progressive de la réalité ou agencement de purs aplats, elles rivalisent d’audace et de nouveauté.

Gouache et collage 1959

Son processus vers l’abstraction passe par la géométrisation des formes, mais pas à la façon des cubistes, il s’agit plutôt d’une « dislocation » des formes sur un fond uni, les parcelles de couleur donnant le rythme à la construction de l’ensemble. Il propose une  schématisation de la réalité où les figures, désincarnées, sont des pures présences picturales, qui projettent une atmosphère sacrale, l’âme russe n’est pas loin.

(Trois personnages sur fond bleu, 1938-1940)

Rencontre avec Nicolas de Staël
La couleur semble être à l’origine de la curiosité qu’éprouve Nicolas de Staël  pour son travail. Les deux hommes  se rencontrent en 1944 lors d’une exposition  de Lanskoy à la Galerie Jean Bucher à Paris, année où ses nouvelles recherches sur l’abstraction commencent à  être remarquées. De Staël vit également ce « passage » de la figuration vers l’abstraction, ils  empruntent les mêmes chemins et  ont plaisir à parler, en russe, de leurs travaux. Ils font tous les deux partie de cette  seconde vague de l’art abstrait, qui, au contraire de ses précurseurs qu’ont été Kandinsky, Kupka, Mondrian et Malevitch à partir de  1912-1915, assez mal accueillis, bénéficieront du contexte historique  profondément transformé, engendrant, entre autre chose, l’assimilation de l’art abstrait par la scène artistique parisienne.

Lanskoy consacré
Lanskoy abstrait c’est  « la sensibilité », la « poésie » et « l’émotion » loue le critique de la revue Arts en 1948. Et il est indéniable que ses toiles, formes nerveuses, saturées de couleurs sur un fond profond, nous font partager un pur moment de bonheur car elles nous fournissent des clés  pour rêver. En ce sens, son travail est proche des expressionnistes allemands mais, comme il le dit lui-même, avec les moyens que donne l’abstraction « d’élargir le champ de bataille, de s’exprimer plus complètement ». Donc l’abstraction comme moyen supplémentaire de s’exprimer et non rupture, rejet d’avec la figuration, de la « non figuration d’après nature », ou « d’après la vie ».

A partir de 1950, les commandes prestigieuses abondent. Sa production est intense, il s’empare de nouveaux supports et matériaux tels que collages, mosaïques, tapisseries. En 1960, par exemple, il exécute une série de 80 collages lithographiés du Journal d’un fou de Gogol, ou 44 planches de la Genèse.
Ces travaux témoignent encore et toujours de  la primauté de la couleur, sa puissance, son éloquence poétique, servie par le rythme, la proportion et les limites des formes, qui la canalisent, maîtrisent  sa potentielle  anarchie. C’est pourquoi  l’œuvre  d’André Lanskoy procure tant de plaisir.

« Lanskoy, un peintre russe à Paris », au LaM, Villeneuve d’Asq.
Du 24 septembre 2011 au 15 janvier 2012.
Plus d’infos

Photos : Philip Bernard

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