Elle s'appelle Stella Nyanzi. Anthropologue, spécialiste de la santé publique et de la sexualité des jeunes, cette érudite des sciences sociales est particulièrement reconnue pour son activisme féministe, sa lutte pour les droits des femmes et la sensibilisation des jeunes filles à la santé menstruelle, mais également sa militance en faveur des droits des personnes homosexuelles - elle est l'une des premières chercheuses à leur avoir consacré des travaux sur le continent africain. On s'en doute, une voix aussi éveillée ne peut que déranger les piliers d'une société patriarcale.
Et pour cause : cela fait des mois que Stella Nyanzi est emprisonnée pour avoir exprimé des "propos offensants" à l'égard du président ougandais Yoweri Museveni. La militante de 42 ans a même été renvoyée de l'Université de Makerere, où elle officiait. Le motif de l'accusation ? Un poème écrit de sa main et mis en ligne sur Facebook le 16 septembre 2018. S'adressant directement au dirigeant à l'occasion de son soixante-quatorzième anniversaire, elle y déclare notamment : "Je voudrais que la décharge infecte brun sale inondant la chatte de ta mère t'ait étouffé à mort / Qu'elle t'ait étouffé tout comme tu nous étouffes avec l'oppression, l'interdiction et la répression". Des insultes-choc, mais loin d'être dépourvues de matière.
Dans son poème, Stella Nyanzi pratique un art qu'elle manie à merveille : "l'impolitesse radicale". Comme le relate All Africa, cette stratégie rhétorique était particulièrement employée par les activistes ougandais sous le régime colonial. Elle consiste à déstabiliser les puissants "par le biais de l'utilisation tactique de l'injure publique". Ses évocations du "canal vaginal" de la mère du président (qui aurait du "brûler [son] foetus") ne sont au fond que le prolongement de cette tradition. Et bien que ces mots aient conduit la poétesse à la prison de sécurité maximale de Luzira, l'insulte n'avait rien de gratuite. Nyanzi y fustige avant tout les dérives autoritaires du régime en place depuis plus de trente ans. En évoquant sa propre mère, elle exprime sa rage à l'égard du pouvoir abusif d'un "leader" qui reste sourd aux droits des femmes - et est bien déterminé à préparer son sixième mandat successif.
Lors de sa comparution au tribunal le 9 mai dernier, l'activiste a expliqué les raisons d'une telle "impolitesse" : "Sauf si vous agrippez fort et que vous serrez fort, ils n'écoutent pas". Une "manière forte" qui n'a pas manqué de susciter les réactions. Face à elle, l'avocat Charles Dalton Opwonya, membre du comité ougandais de lutte contre la pornographie, s'obstine à condamner des écrits qu'il juge "obscènes", comme le relate le site d'informations African Arguments. Cette comparution a notamment porté sur une grande question : "vagin" est-il un terme si "obscène" voire "pornographique" ? Ce qui a incité Opwonya à appuyer sa position en affirmant "qu'un vagin peut être sale si vous ne le lavez pas". A lire un tel argument, l'on se doute que bien des luttes restent encore à mener pour que le corps des femmes soit enfin respecté.
"L'histoire de Stella Nyanzi, rappelle aux Ougandais que la lutte pour la liberté ne pourra être menée à bien en respectant les normes fixées par les personnes au pouvoir", décoche la journaliste afroféministe Rosebell Kagumire. L'intéressée, elle, est toujours dans l'attente d'une décision définitive de la part de la justice ougandaise. Dans un portrait que lui consacre CNN, elle revient sur ses nombreux combats - notamment auprès des écolières d'Ouganda - et son refus - héroïque - des concessions face aux nombreuses pressions gouvernementales. Avec l'assurance d'une porte-parole, la militante persiste et signe : "Nous y arriverons. Je ne sais pas ce qu'il faudra faire, mais nous devons juste continuer à frapper".