Pour encore une fois mettre les règles au coeur du débat et lutter contre le tabou qui les entoure, l'ONG CARE France et l'agence CLM BBDO lancent une campagne ce lundi 21 janvier. L'organisation qui lutte contre la pauvreté dans le monde a demandé à des influeur·euses de partager le mot clef #RespectezNosRègles.
Leur messages comporte sciemment des fautes d'orthographe comme si elles avaient dû quitter l'école à 12 ans, comme ces filles qui, à travers le monde, arrêtent l'école à cause de leurs règles.
En effet, elles ne bénéficient pas toujours de protections périodiques, ou même simplement de toilettes propres séparés. Ainsi, selon une étude de l'ONG indienne Dasra, cité par CARE, 23 millions de filles indiennes arrêtent l'école chaque année lors de leurs règles, c'est une fille sur dix en Afrique.
La précarité menstruelle touche aussi les Françaises pour qui les protections périodiques restent chères.
Le directeur général de CARE France, Philippe Lévêque, nous explique pourquoi son ONG s'est lancée dans cette campagne, et quels sont les enjeux de la précarité menstruelle dans le monde.
Terrafemina : Pourquoi avoir décidé de s'emparer de ce sujet tabou des règles pour lancer une campagne?
Philippe Lévêque : Parce que nous sommes une association de solidarité internationale qui défend les droits des femmes et que le tabou des règles est l'un des stéréotypes sexistes qui affecte la quasi-totalité des femmes dans le monde. C'est un sujet universel.
Les règles sont un phénomène biologique qui touchent la moitié de l'humanité, soit chaque femme pendant près de 30 ou 40 ans. C'est aussi le phénomène sans lequel l'espèce humaine n'existerait pas. Et pourtant, loin d'être acceptées comme quelque chose de naturel, les menstruations sont toujours la cible d'interdits forts dans le monde entier.
Dans trop de pays, les femmes sont considérées comme impures quand elles ont leurs règles. Au Népal, les femmes n'ont pas le droit de toucher de la nourriture ou les récoltes car elles pourraient causer malheur à leur famille et communauté.
En Bolivie, on dit aux filles que le sang des règles peut provoquer des maladies graves, comme des cancers, pour les autres personnes.
Les mythes qui entourent les règles jouent donc un rôle important sur la place des femmes dans leur communauté ainsi que dans la perception que les femmes ont d'elles-mêmes. En Inde, par exemple, des violences ont récemment éclaté contre la décision de la Cour suprême indienne de révoquer l'interdiction ancestrale et sexiste pour les femmes en âge d'avoir leurs règles d'entrer dans certains temples religieux.
Dans les pays occidentaux aussi, le tabou et l'invisibilisation des règles persistent. Ce n'est pas normal qu'aujourd'hui, 44% des femmes françaises et 58 % des Américaines éprouvent de la honte pendant leurs menstruations.
P.L. : Les conséquences sont nombreuses et dramatiques.
Il faut avoir conscience que le tabou des règles tue. Au Népal ou au Vanuatu, par exemple, les filles et les femmes sont exclues socialement voire exilées de leur maison. Isolées dans des abris de fortune, exposées aux éléments, aux agressions, des femmes meurent chaque année.
C'est encore arrivé il y a quelques jours, le 9 janvier dernier, une femme et ses deux enfants ont été retrouvés morts dans une hutte au Népal alors que la mère se pliait à la coutume ancestrale du Chaupadi, cet exil menstruel. Et ce, malgré le fait que cette pratique a été interdite l'année dernière.
Aussi, dans beaucoup de pays en développement, avoir ses règles ressemble plus à un combat pour sa dignité et sa santé qu'à un cycle naturel. Les tabous et les croyances fausses créent un environnement dans lequel les femmes et les jeunes filles sont privées d'un droit fondamental : celui de garantir leur hygiène et leur santé.
En Afghanistan, on dit aux femmes qu'elles ne peuvent pas se doucher pendant leurs règles sinon elles deviendront stériles.
Une autre conséquence de ce tabou est la déscolarisation des filles quand débute leur vie de femmes. En Afrique, 1 fille sur 10 manque l'école lors de ses menstruations. En Inde, 23 millions de filles arrêtent chaque année l'école à cause de leurs règles.
Ces chiffres alarmants sont notamment dus à l'absence de toilettes séparées dans les écoles, au manque d'accès à des protections hygiéniques, à la honte ressentie par les jeunes filles ainsi qu'au manque d'information.
C'est d'ailleurs l'objet du film de cette campagne.
P.L. : Il a été tourné au Sénégal. Cette courte vidéo de fiction vise à surprendre : elle met en avant le rituel matinal d'une femme mûre et de sa fille avant d'aller à l'école. Le spectateur découvrira à la fin que c'est la mère qui a dû attendre sa ménopause pour enfin retrouver le chemin de l'école, alors que sa fille qui vient d'avoir ses premières règles n'y va plus.
Ce scénario évoque deux moments forts de la vie d'une femme et deux tabous liés aux règles : les premières règles et la ménopause. Quand on veut briser un tabou, il faut en parler ouvertement. Nous voulons qu'il soit possible de parler des règles de manière décomplexée.
Et aussi, nous voulions mettre en avant les impacts de ce tabou dans la vie des femmes. Ils sont nombreux, nous avons donc décidé de nous attacher pour ce film au lien entre règles et déscolarisation. Car le manque d'éducation affecte toute la vie de ces jeunes filles. C'est l'un des facteurs qui les empêchent de sortir de la pauvreté.
P.L. : Oui, définitivement.
Les protections hygiéniques constituent un élément essentiel de la dignité et de la santé de la moitié de l'humanité. Or, elles restent onéreuses dans tous les pays du monde. Dans sa vie, une femme utilise entre 12 000 et 15 000 tampons, serviettes hygiéniques et protège-slips, pour un coût de 2 500 euros, selon l'auteure Elise Thiébaut.
Une somme considérable qui est au coeur de beaucoup de débats. On l'a vu en France où la "taxe tampon" n'a été votée qu'en 2015 sous la pression d'associations féministes. Avant les protections hygiéniques étaient taxées 20%, contrairement au taux de 5,5% réservé aux produits de première nécessité.
Et cette absurdité existe encore dans d'autres pays comme aux États-Unis, où la plupart des États appliquent une taxe de luxe sur les produits menstruels.
La pauvreté et la précarité menstruelle est un facteur qui met la santé des femmes en danger. A travers le monde, plus de 500 millions de filles et de femmes n'ont pas du tout accès à des protections hygiéniques. Au Maroc, au Bangladesh ou ailleurs, elles sont obligées d'utiliser des torchons, des feuilles, du papier journal, des morceaux de matelas ou même de la boue. Les risques hygiéniques et d'infections sont considérables.
C'est pourquoi, nous saluons des actions comme celles de l'Écosse qui distribue gratuitement des protections hygiéniques aux femmes aux faibles revenus et depuis peu aux étudiantes. C'est une manière de lutter contre la "period poverty" ou "pauvreté liée aux règles".
Et dans nos programmes dans les pays en développement, nous formons les filles et les femmes à fabriquer des serviettes hygiéniques réutilisables, des produits économiques et sûrs pour la santé.
P.L. : Informer, sensibiliser. C'est le premier pas !
Les premières règles sont trop souvent quelque chose d'effrayant pour les filles. En Afghanistan, Irak, Somalie, Vanuatu, beaucoup de filles n'ont aucune idée de ce phénomène naturel car les mères n'osent pas en parler et ces questions ne sont pas abordées à l'école.
A cause de cela, beaucoup de filles sont horrifiées et choquées par ce sang qui coule de leur corps. Beaucoup pensent qu'elles sont en train de mourir ou que quelque chose ne va pas. En Iran, par exemple 48% des jeunes filles pensent que les règles sont une maladie.
Et ce manque d'information est aussi vrai dans les pays occidentaux, la moitié des filles se sentent ignorantes lors de leurs premières règles, selon une étude menée en Angleterre.
Le problème vient de l'éducation des filles mais aussi des garçons, car ce sont eux qui participent souvent involontairement à ce sentiment de honte ressentie par les filles et qui perpétuent les pratiques sexistes qui entourent les règles.
C'est pourquoi dans le monde entier, CARE aide les écoles à mettre en place des cours sur la santé sexuelle et reproductive pour les filles et les garçons. Nous sensibilisons aussi les femmes et les hommes adultes pour briser les croyances fausses.
Car de manière plus globale, il est clair que le tabou des règles fait partie des injustices sexistes auxquelles les femmes du monde entier sont confrontées. En 1978, la militante féministe Gloria Steinem se posait la question si tout d'un coup, c'était les hommes qui avaient leurs règles et pas les femmes, les règles deviendraient alors une source de fierté.
La lutte contre le tabou des règles rejoint donc le combat pour l'égalité entre hommes et femmes.
P.L. : CARE lutte contre l'extrême pauvreté et les injustices dans 90 pays dans le monde. La défense des droits des femmes est au coeur de nos actions.
Chaque jour, sur le terrain, nos équipes luttent contre les stéréotypes de genre dont le tabou des règles. Nous sensibilisons les femmes, les filles mais aussi les hommes et les garçons en faveur de l'égalité des genres.
Et afin de garantir le droit à l'éducation de chaque fille, CARE construit notamment des toilettes et des points d'eau adaptés aux filles dans les écoles, distribue des cups notamment dans les camps de réfugiés comme en Ouganda ou soutient la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables dans les écoles au Népal ou par des groupes de femmes qui pourront ensuite les vendre pour améliorer leurs revenus à Madagascar ou en RDC.
Nous informons aussi les filles sur la santé sexuelle et reproductive. Nos actions sont multiples car il faut s'attaquer à toutes les causes et conséquences du tabou des règles pour que les choses changent de manière durable.
P.L. : Une femme a ses règles en moyenne 2 555 jours dans sa vie, soit plus de 6 ans au total ! Pour trop de femmes et les filles, leurs règles correspondent à autant de jours perdus à éprouver un sentiment de honte ou être victimes de terribles discriminations. Il faut que les choses changent !
C'est pourquoi, nous lançons cette campagne. Car la première façon de briser un tabou, c'est d'en parler et d'informer.
Nous voulons aussi montrer les impacts concrets et quotidiens de ce tabou sur la vie des filles et des femmes dans les pays en développement. C'est pourquoi, l'influenceuse Natacha Birds se rend au Népal pour rencontrer les communautés que nous soutenons ainsi que nos équipes qui luttent contre ce tabou.
Entre le 22 et 28 janvier, elle postera en direct sur son compte Instagram et celui de CARE France, les témoignages de filles et de femmes qui raconteront leur lutte contre la pratique de l'exil menstruel et les interdits autour des règles.
Elle rencontrera également des jeunes garçons qui s'impliquent dans la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables pour que les filles de leur village puissent continuer d'aller à l'école. Ces témoignages du terrain montreront qu'avec de la volonté et du courage, il est possible de faire bouger les lignes partout dans le monde.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, nous utilisons le #RespectezNosRegles qui traduit deux idées clés : la première est que les règles ne doivent pas être une honte pour les femmes ou une raison d'exclusion sociale, voire de violence ; la deuxième est que nous toutes et tous devons lutter pour changer les règles sexistes qui existent encore partout dans le monde.
Il faut mettre en place de nouvelles règles de société plus justes, changer profondément les normes sociales qui impactent si négativement les droits des femmes dans le monde. Tout le monde peut se reconnaître dans ce combat et ce hashtag, ce n'est pas seulement un "combat de femmes".
Lutter contre le tabou des règles participe à notre combat pour mettre fin à la pauvreté et aux injustices, pour obtenir l'égalité entre toutes et tous.
Pourquoi faire appel à des influenceur·euses ?
P.L. : Le tabou des règles, vieux de plusieurs millénaires, ne disparaîtra pas facilement. Mais nous avons toutes et tous un rôle à jouer.
Nous avons donc lancé une mobilisation collective autour du hahstag #RespectezNosRegles, grâce à la participation de personnalités et d'influenceur·euses, tels que les réalisatrices des documentaires Rougir sans honte et 28 jours, les humoristes Sandrine Sarroche ou Tristan Lopin.
Nous voulons toucher le plus de monde possible, aussi bien des femmes que des hommes car ensemble, nous pouvons arriver à briser ce tabou !
C'est un combat que nous voulons porter sur la durée. Tous les jours dans les pays en développement, nous luttons contre ce tabou. Ici en France, nous voulons informer et sensibiliser, créer un dialogue franc et ouvert pour briser ce tabou.
Au cours des prochains mois, nous aurons plusieurs moments forts comme un projet photo participatif avec le collectif Les Nanas d'Paname, la mise en avant de témoignages d'hommes français, népalais ou serbes sur les règles avec le compte Instagram Tubandes.
Car il est important de démystifier ce phénomène pour qu'il ne soit plus un sujet tabou ou honteux. Nous voulons en parler simplement et ouvertement pour que les femmes ne vivent pas leurs règles avec terreur ou honte, et pour que les hommes comprennent qu'il n'y a rien de sale ou d'impure. Faisons des règles et du respect des règles un sujet public !
Nous organiserons aussi une soirée festive le 28 mai, journée internationale des menstruations à la Bellevilloise à Paris, avec la participation de personnalités comme la chanteuse Lio ou des humoristes, car ce cycle naturel des femmes doit être célébré et respecté par la société et non caché.