Toute cette semaine se tenait le procès en diffamation de six femmes ayant dénoncé les agissements de Denis Baupin, ancien député membre du parti EELV, accusé d'agressions sexuelles.
En mai 2016, des journalistes de France Inter et Mediapart avaient enquêté auprès de ces femmes et se retrouvent aujourd'hui également sur le banc des accusé·es.
L'ancienne porte-parole Europe Écologie-Les Verts, Sandrine Rousseau, et l'ex-députée écologiste du Calvados, Isabelle Attard, ont témoigné ce mardi (5 février) des faits qu'elles reprochent à Denis Baupin, aux côtés d'Elen Debost, Laurence Mermet, Geneviève Zdrojewski et d'Annie Lahmer.
Sandrine Rousseau accuse Denis Baupin de l'avoir plaqué au mur dans un couloir et de lui avoir attrapé les seins.
Isabelle Attard raconte avoir été harcelée de texto par Denis Baupin qui lui fait des propositions.
Alors que les auditions se terminent ce vendredi 8 février, ces deux anciennes cadres du parti écologiste expliquent l'importance de ce procès.
"C'est une épreuve pour nous, cette semaine", confie Isabelle Attard. "Notre objectif à l'origine était de dénoncer des faits pour qu'il s'arrête, pour qu'aucune femme après nous ne subisse la même chose de la part de cet homme. Se retrouver dans la position des accusées, ce n'est quand même pas évident."
Lors du procès mardi, Isabelle Attard a remercié Denis Baupin : "Denis Baupin a voulu aller jusqu'au bout, alors qu'il avait mille fois l'occasion de retirer sa plainte pour diffamation. Il a décidé malgré tout, malgré les 14 témoignages de femmes contre lui, d'aller jusqu'au bout. Il n'est pas venu au procès. Et finalement, on a l'occasion qu'on aurait jamais pu avoir de dire tout haut ce qu'on a vécu. Pour que cela serve d'exemple et que cela ne se reproduise plus."
"Je le fais sur le ton de la boutade, mais en fait jusqu'ici on avait témoigné devant la police, on en avait parlé à Mediapart et France Inter. Cette semaine, on a eu l'occasion toutes les six plus les deux personnes qui rapportent nos propos, de témoigner chacune notre tour, longuement, en répondant à des questions supplémentaires. Chose qu'on avait finalement jamais pu faire publiquement. Là, nous sommes au niveau d'un tribunal et finalement, cela nous donne une tribune, un écho que l'on avait pas pu avoir la première fois qu'on a porté plainte, alors même que celui qui porte plainte contre nous est absent."
Ce jeudi 7 février, la femme de Denis Baupin, l'ancienne ministre du logement et ex-Secrétaire national d'EELV Emmanuelle Cosse est venue témoigner pour défendre son mari.
Le matin même, l'ex-dirigeante d'EELV et ex-ministre du Logement Cécile Duflot, très proche d'Emmanuelle Cosse, avait raconté l'agression présumée dont elle accuse Denis Baupin. En 2008, lors d'un congrès à Sao Paulo au Brésil, Denis Baupin lui aurait demandé le numéro de sa chambre d'hôtel, caressé le cou et lui aurait dit : "Je sais que tu en as envie autant que moi". Elle confie avoir réussi à lui donner un coup de pied et à le mettre dehors.
Isabelle Attard s'étonne de "ce gouffre entre son absence et la présence de ses compagnes. Qu'il les envoie au charbon pour le défendre alors qu'il ne se donne pas la peine de venir est quelque chose d'incroyable."
Toutes les femmes attaquées en diffamation par Denis Baupin sont très soutenues. "Je remercie tous les gens qui envoient des messages", confie Isabelle Attard. Après les premiers témoignages du 9 mai 2016, les soutiens se sont multipliés : "Effectivement il y a eu #MeToo après, et on a un petit peu essuyé les plâtres, mais une de celle qui a essuyé les plâtres en premier, c'est Tristane Banon, il ne faut pas l'oublier."
Lundi matin (4 février), au début du procès, le journaliste Edwy Plenel, interrogé en tant que représentant de Mediapart, a expliqué les suites qu'avait eu les articles dans la rédaction. Isabelle Attard en a été particulièrement touchée. "Suite à ce dossier et à cette affaire, ils ont réfléchi en interne à Mediapart s'il y avait des problème d'agression de harcèlement. J'aimerais que cet exemple soit suivi [...] Il ne faut pas attendre qu'il y ait des problèmes pour mettre en place des structures d'écoute de la parole des femmes [...] C'était extrêmement touchant à mes yeux, et important de dire qu'il n'y a pas que les mots, il y a aussi les actes. Il n'ont pas attendu qu'il y ait un scandale à Mediapart."
L'actuel porte-parole d'EELV, Julien Bayou, est venu témoigner au procès jeudi au nom du parti : "C'est rude mais nécessaire, je pense. Avec leur courage, ces femmes ont fait bouger les lignes. On était là car cité par les médias pour attester du sérieux de l'enquête. Mais le geste le plus fort sûrement, c'est d'assumer de parler en soutien aux victimes. De notre côté [chez EELV], on a mis en place une cellule signalement harcèlement".
Europe Écologie Les Verts est d'ailleurs poursuivi pour diffamation pour avoir soutenu les victimes (la date du procès n'est pas encore connue).
Sandrine Rousseau, qui est aujourd'hui vice-présidente de l'université de Lille, souligne : "Ce procès montre une succession de femmes qui ont des âges différents, et qui étaient dans des positions différentes, et qui ont subi exactement la même chose. Toutes, nous n'appelons pas à la vengeance, et toutes nous appelons juste au fait qu'il arrête pour les autres femmes. Et ça, c'était extrêmement fort dans les témoignages : on a fait ça pour qu'à un moment donné, cela cesse. On ne le fait pas dans une démarche personnelle, mais ensemble, on a dit stop."
L'affaire Baupin aura eu un retentissement sur la vie de ces femmes. Mardi, Sandrine Rousseau a expliqué à la barre que son divorce n'était pas étranger à cette agression. Isabelle Attard, elle, est profondément marquée : "Ça ne m'a pas empêché de finir mon mandat, mais je garde ça en mémoire, je garde ça profondément en mémoire. Et surtout, cela m'a permis de mieux comprendre ce phénomène et de chercher à le combattre à tout prix pour les générations qui viennent, pour nos mères qui ont vécu ça."
Le but d'Isabelle Attard ? "Je voudrais juste qu'on puisse vivre normalement, sans devoir développer des méthodes de protection à quitter son travail, à avoir besoin de quelqu'un pour assister à une réunion au cas où cela dérape. Je n'ai jamais entendu parler d'un homme qui demande à quelqu'un de venir le protéger parce qu'il a un rendez-vous de travail avec une femme..."
Si le procès n'est pas terminé, Sandrine Rousseau souhaite une chose : "Il faudra attendre le verdict, mais je pense que c'est la première fois qu'un homme en situation de pouvoir évident, peut être renversé par des femmes. Peut être qu'enfin, des femmes vont réussir à faire valoir leurs droits, et leur droit à disposer de leur corps."
Pour elle, "il y a encore beaucoup de portes à ouvrir, et ce procès permettra d'en ouvrir d'autres, cela réveillera peut-être d'autres femmes si la diffamation n'est pas reconnue. Si le tribunal dit qu'il n'y a pas de diffamation, c'est la fin d'une impunité, la fin d'une époque."