La Dr Abigael Debit est médecin urgentiste. Si ses publications Instagram la montraient plutôt en train de chanter (elle se présente aussi, dans sa biographie, comme "chanteuse" et "auteur-compo"), la soignante n'a plus le coeur à la fête. Dans deux longs posts successifs datant du 28 novembre, Abigael Debit a souhaité alerter sur la crise que traverse l'hôpital public.
Les soignant·e·s, applaudi·e·s à 20 heures pendant les confinements successifs qui ont marqué la pandémie de Covid-19, célébrés comme des "héros" et des "héroïnes", écoutés lors du Ségur de la santé en 2020 (qui leur avait permis de négocier une revalorisation salariale), semblent être de nouveau oublié·e·s. Les hôpitaux publics manquent toujours de moyens.
Et pour cause : des restrictions budgétaires sont imposées chaque année à l'hôpital dans le cadre de l'Ondam (Objectif national de dépenses d'assurance-maladie), rappelle Franceinfo. Depuis vingt ans, 80 000 lits d'hospitalisation publics ont été fermés. Ces coupes budgétaires ont impacté les salaires du personnel hospitalier, qui se heurte à des conditions de travail difficiles et à un manque de reconnaissance.
Cette situation fait que l'hôpital rencontre aujourd'hui des difficultés pour recruter du personnel soignant, notamment des infirmier·e·s ou des aides-soignant·e·s. Et celleux déjà en poste, en sous-effectifs, sont à bout de nerfs : début 2022,l'Ordre national des infirmiers a ainsi rapporté que "54% des salariés d'établissements publics estiment traverser un burn-out, avec des effets préjudiciables sur la qualité des soins".
Abigael Debit s'est ainsi faite le porte-voix des patients et des plaintes (trop nombreuses) qu'elle entend au quotidien, qui témoignent des dysfonctionnements du système hospitalier :
"Je n'ai plus de médecin traitant. (...) Mon cardiologue ne répond plus, je n'ai plus de traitement, la pharmacie ne veut plus m'avancer les médicaments, je n'ai plus de suivi. (...) 12 heures pour voir un médecin, vous trouvez ça normal ? (...) Applaudir les soignants ? Ça fait longtemps que ça ne se fait plus, et puis ça sert à quoi ? Cet hôpital, plus jamais, vous m'entendez ? Plus jamais je reviendrai ici. Plutôt mourir", a-t-elle énuméré d'un bloc.
A ces phrases exprimant le découragement, s'ajoutent les réponses déprimantes du corps médical, qui manque de moyens et de personnel. "On n'a plus de lits (...) Il n'y a plus de plateaux-repas (...) On ne peut pas vous voir tout de suite, on n'a plus de brancard pour vous installer. Il n'y a plus de chaises en salle d'attente. Il fait froid, je sais, le chauffage ne marche plus. (...) Il n'y a plus de couvertures. (...) Je n'arrive pas à transmettre les images de votre IRM au neurochirurgien, le serveur ne marche plus (...) On n'a plus de tests COVID", écrit Abigael Debit.
Accompagnant ce message, on remarque entre autres les hashtags "#hopitalabandonné" ou encore "#hopitalendanger". A bout, la médecin a souhaité sensibiliser l'opinion publique et interpeller les autorités compétentes. En commentaire, elle a ainsi tagué les comptes de l'APHP (l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris) et de Santé publique France. Son post a recueilli pour l'heure plus de 1000 j'aime.
"Je sais où se trouvent les plus vulnérables d'entre nous : dans la salle d'attente, concentré explosif de toutes les injustices sociales et des aberrations criantes d'un système qui ne fait même plus semblant d'être solidaire", s'est-elle désolée dans une autre publication.
"J'ai travaillé 10 ans à Bichat (l'hôpital Bichat est situé dans le 18e arrondissement de Paris- Ndlr) ", a témoigné Abigael Debit. "Là-bas, la salle d'attente suscite l'effroi des soignants comme des patients. Certains SDF y élisent domicile pendant l'hiver. L'un d'eux y vivait depuis des années, on l'y a retrouvé mort un matin", a-t-elle rapporté.
La soignante a décrit la violence de certains visiteurs "à bout de nerfs", les "familles excédées" et les dangers auxquels s'expose le personnel hospitalier : "Les agents d'accueil sont protégés par des vitres en plexiglas, les insultes pleuvent sur eux toute la journée. Les vigiles ne viennent plus seulement quand on les appelle, ils sont là 24 heures sur 24. Les portes sont régulièrement explosées par des patients".
Selon elle, si rien n'est fait pour soutenir l'hôpital public, "les patients croupiront encore longtemps sur les chaises inconfortables de la salle d'attente. S'ils ont même encore la chance de pouvoir s'y asseoir". Un cri d'alerte qu'il s'agit d'entendre alors que les épidémies de bronchiolite, grippe et Covid déferlent actuellement sur la France.