Que ce soit dans les couloirs d'hôpital ou sur les bancs des universités, les étudiants en médecine côtoient régulièrement le sexisme. Si les témoignages affluent depuis ces dernières années sur les réseaux sociaux, notamment sur le site Paye Ta Blouse, cette donnée est désormais confirmée statistiquement par la première enquête nationale sur le sexisme dans les études de médecine, dont les résultats ont été dévoilés ce vendredi 17 novembre. Orchestré par l'InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI), le sondage a été réalisé à partir d'un questionnaire en ligne du 2 septembre 2017 au 16 octobre 2017 (soit bien avant l'affaire Harvey Weinstein) diffusé sur le site de l'ISNI et les réseaux sociaux, ainsi que sur les sites de plusieurs associations et de syndicats représentatifs locaux.
Parmi les 30 000 internes invités à participer à l'enquête, 2 946 étudiants- dont 75% de femmes- ont accepté de répondre au sondage. "Pour construire ce questionnaire, nous nous sommes inspirés d'indices connus ou fortement suspects, décrits dans la littérature scientifique ainsi que dans la littérature grise. Nous y avons rajouté des questions basées sur notre expérience clinique, syndicale et associative", précise l'ISNI.
Premier résultat significatif qui ressort de l'enquête : 86% des étudiants en médecine (aussi bien des hommes que des femmes) subissent quotidiennement des propos ou des actes sexistes, en particulier à l'hôpital. Parmi les sondés, 34% déclarent avoir été témoins ou victime d'"attitudes connotées", tandis que 8,6 % rapportent avoir été victimes de harcèlement sexuel. Harcèlement qui se manifeste par un contact physique ou un geste non désiré (65 %), la simulation d'acte sexuel (9 %), la demande insistante de relation sexuelle (14 %) ou le chantage à connotation sexuelle (12 %).
"C'est un climat ambiant permanent qui existe depuis le début des études. En réalisant cette enquête, j'ai été étonnée par le nombre de personnes qui ne se considèrent même plus victimes de sexisme tellement tout cela a été intégré et accepté. Le problème, c'est que le sexisme crée un climat qui conduit à accepter un geste déplacé qui prépare le terrain au harcèlement sexuel", commente Alizée Porto, vice-présidente de l'ISNI, à l'initiative de cette enquête.
Comme le montre l'infographie ci-dessous, le sondage révèle que les auteurs de ces actes sexistes émanent à 37% des médecins en position de "supériorité hiérarchique" (37%, dont 13% sont des chefs de service), puis à 33% du personnel soignant (infirmiers, aides-soignants) et à 16% de confrères sans supériorité hiérarchique.
Le phénomène est tellement répandu en milieu hospitalier (24,8% dans le bloc opératoire, 22.2% lors des visites médicales) que les patients eux-mêmes font preuve de sexisme envers les externes et les internes en médecine, souligne l'enquête. Après s'être présenté, avoir expliqué au patient sa pathologie et l'avoir examiné, le patient va demander de voir le médecin dans 7,1% des cas s'il s'agit d'un interne homme contre 60,60% des cas s'il s'agit d'une femme, précise l'ISNI.
Une situation que Marie, 29 ans, et ancienne interne en médecine générale connaît bien : "Je ne compte plus le nombre de fois où, à la fin de la consultation, mes patients m'ont demandé, 'Quand est-ce que je vais voir le médecin ?'. "Dans ces cas là, vous avez envie de répondre : 'Et bien, ça fait une demi-heure que je vous parle là, et oui, je suis bien médecin", nous a-t-elle raconté.
Autre conséquence concrète de cette culture du sexisme selon l'ISNI : l'influence sur la carrière. À l'issue de leur externat, les étudiants doivent en effet sélectionner une spécialité. Or, il arrive que certains étudiants boudent un service après une mauvaise expérience de stage. Face à ces résultats, l'ISNI annonce qu'elle prendra prochainement 10 mesures visant à lutter contre le harcèlement sexuel, à rendre ce sexisme au quotidien plus visible, à briser le plafond de verre en luttant contre l'autocensure et à permettre l'accès aux carrières hospitalo-universitaires, sans qu'aucune discrimination de genre n'interfère avec le choix des étudiants.