Combien de fois avez-vous été tentée- exaspérée face à la queue interminable des toilettes d'un cinéma ou d'une salle de concert- de vous faufiler dans les sanitaires masculins pour vous soulager ? Parce que c'est un fait difficilement contestable : il y a toujours beaucoup moins de monde chez les hommes que chez les femmes. Un récent sondage réalisé par Yougov et relayé par The Guardian le prouve : 59% femmes interrogées ont déclaré faire régulièrement la queue quand elles se trouvent dans des toilettes publiques, contre 11% d'hommes.
Si les femmes doivent constamment poireauter pour aller aux toilettes, c'est tout simplement parce qu'elles passent plus de temps au pipi-room que leurs homologues masculins. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : vêtements plus complexes à retirer, position assise qui prend plus de temps, changement des protections périodiques... Sans compter que les urinoirs dans les toilettes pour hommes-en plus des cabines- prennent moins de place et sont, de ce fait, plus nombreux. Bref, encore une distinction qui ne profite pas à la gent féminine.
Certains rétorqueront que ce n'est pas la fin du monde, et qu'il y a tout de même plus grave en termes d'inégalités. Peut-être... Sauf qu'en réalité, cette situation reflète de manière troublante un sexisme profondément ancré dans notre société.
Pour Philippe Frémeaux, directeur du mensuel Alternatives économiques, et auteur d'un article sur le sujet publié en 2003, "cette question des toilettes est un puissant révélateur de la façon dont est pensée l'égalité dans notre République. Les décideurs de tout poil – en l'occurrence les architectes – croient encore qu'il suffit d'offrir à tous ce qui convient le mieux aux dominants pour que l'égalité soit établie. Sans s'interroger plus avant sur la situation spécifique des uns et des autres."
Un exemple récent illustre parfaitement les propos du journaliste : en septembre dernier, des habitantes d'Amsterdam ont lancé le mouvement "Les Nanas qui pissent" sur Facebook, afin de dénoncer le peu de toilettes publiques réservées aux femmes dans leur pays. Cette action faisait suite à la condamnation d'une habitante de la capitale des Pays-Bas, arrêtée deux ans auparavant pour avoir uriné sur la voie publique pendant la nuit, alors que tous les bars et les cafés du quartier avaient fermé leurs portes.
Celle-ci a écopé d'une amende de 90 euros. Le motif du juge : cette dernière n'avait qu'à utiliser des urinoirs masculins. "Ce n'est peut-être pas agréable, mais cela pourrait être possible", avait estimé ce dernier, rapportait le quotidien néerlandais Het Parool.
Le problème est donc politique, mais également historique, comme l'avait expliqué Soraya Chemaly, autrice d'un article du Time traitant du sexisme dans les toilettes publiques : "Nous sommes debout, à attendre dans la file parce que nos corps, comme ceux des personnes trans et queer, ont été historiquement négligés, ignorés, et jugés indignes de soins et de reconnaissance. Nous ne devrions pas avoir à attendre ou à reporter nos besoins."
Si le phénomène des toilettes féminines bondées dépasse largement les frontières de l'Hexagone, certains de nos voisins européens ont cependant depuis longtemps dépassé le problème. C'est notamment le cas de l'Allemagne et de la Suède, pays dans lesquels on trouve de nombreuses toilettes mixtes.
Au Japon, les habitants ont trouvé une solution tout aussi efficace : disposer des toilettes à tous les coins de rue. Propres qui plus est. Et bien sûr, pas de problème de file d'attente interminable, aussi bien chez les hommes que les femmes.
On pourrait donc supposer que plus de sanisettes dans nos rues réglerait en partie le problème suggère Julien Damon, professeur d'urbanisme à Sciences-Po et auteur d'un article intitulé Les toilettes publiques. Un droit à mieux aménager. Sans aller jusqu'à un système aussi sophistiqué que les toilettes automatiques japonaises, dont le coût va chercher dans les 20 000 euros, précise ce dernier.
Une autre piste intéressante à creuser consiste à faire de la discrimination positive en rétrécissant les toilettes pour hommes. "Si les toilettes pour femmes étaient plus grandes, et qu'on rétrécissait celles des hommes, de fait les femmes gagneraient du temps", estime Julien Damon.
En attendant que les architectes se saisissent du dossier, vous pouvez toujours continuer à vous incruster chez les hommes. Qui sait, si on s'y met toutes, cela encouragera peut-être l'apparition des toilettes publiques mixtes.