Stop-harcèlement : "Attention à donner les bonnes informations aux victimes"
Publié le 13 novembre 2012 à 14:27
Par Marion Roucheux
Alors que le gouvernement lance cette semaine sa nouvelle campagne de sensibilisation au harcèlement sexuel, les associations féministes font part de leur insatisfaction. Si le message est clair et utile, elles regrettent en revanche que le dispositif de prise en charge des victimes soit insuffisant et dénoncent un gros manque de formation. Entretien avec Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).
Stop-harcèlement : "Attention à donner les bonnes informations aux victimes" Stop-harcèlement : "Attention à donner les bonnes informations aux victimes"© iStockphoto
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Terrafemina : Quelle a été votre première réaction face à la campagne « Stop harcèlement sexuel » lancée par le gouvernement lundi ?

Marilyn Baldeck : Je l’ai découverte lundi matin dans un journal gratuit et j’ai d’abord été contente de constater que le message adressé aux victimes était clair. « Le harcèlement sexuel n’est jamais un jeu, mais toujours une violence » est un bon slogan, qui vaut la peine d’être dit et répété. J’ai donc trouvé que la campagne, la forme et le message affichés étaient pertinents. En revanche, mon enthousiasme est retombé quand j’ai vu le numéro d’urgence qui était affiché en bas de l’encart, appelé à devenir le numéro référent pour la lutte contre le harcèlement sexuel. Il s’agit du 08 victimes, une plate-forme ultra-généraliste qui prend aussi bien en compte les plaintes pour homophobie que pour racisme ou encore pour accident de la route. Alors que depuis plusieurs mois est posée la question centrale de savoir vers quels conseillers l’on doit diriger les victimes de harcèlement sexuel dans le cadre de cette campagne, ce choix m’interloque. Dans le cadre de la lutte contre le harcèlement sexuel, il n’y a certes pas de maillage territorial national ou de numéro vert vers lesquels les victimes peuvent se tourner, la seule association nationale subventionnée à cet effet par l'État est l’AVFT, qui ne peut et ne veut pas assurer le rôle de plate-forme téléphonique. Reste qu’il est regrettable que l’AFVT n'ait pas été mise à contribution, en amont de la campagne, pour former et sensibiliser les équipes qui ont pour mission de conseiller et d'orienter les victimes. Notre expérience de près de 30 ans aurait pu être mise à profit.

Tf : Quelles sont vos craintes vis-à-vis de ce numéro d’urgence vers lequel sont dirigées les victimes ?

M. B. : Ma première inquiétude est que ce réseau 08 victimes et les associations locales d'aide aux victimes, membres de l'INAVEM (Institut national d'aide aux victimes et de médiation), sous tutelle du ministère de la Justice, est comme son nom l'indique une structure qui a parmi ses missions la médiation. Or s'il y a bien un consensus parmi les associations féministes, c’est le refus de toute médiation en matière de violences : on ne doit jamais faire partager les torts entre la victime et la personne mise en cause. Autre regret : les associations légitimes, comme la nôtre, ont été court-circuitées. Comment devons-nous interpréter la mise en avant du 08 victimes pour cette campagne en lieu et place d'un numéro d'appel géré par une ou des associations féministes qui affinent des outils, des méthodes en termes d'entretiens avec les victimes, de compétences juridiques... conçus spécifiquement pour des victimes de violences ? Par ailleurs, je suis inquiète par rapport au degré de formation des personnes qui prennent les appels sur la problématique spécifique du harcèlement sexuel, et donc de leur capacité à répondre aux attentes qui vont naître de cette campagne chez les victimes.

Tf : Afin de vous assurer de la formation de ces personnes, vous avez procédé à des appels « testing ». Quel est votre constat ?

M. B. : En effet, c’était la seule solution pour connaître la qualité des réponses qui allaient être apportées aux victimes. Ce testing n'a pas été fait dans le but de fragiliser la campagne du gouvernement mais dans celui de rendre visible les (grandes !) marges d'amélioration. Or, le constat est préoccupant : si les personnes nous redirigent généralement vers des associations locales, ce qui est une bonne chose, on nous a en revanche donné une majorité d’informations erronées et nous avons souvent pu constater un positionnement inapproprié. Ainsi, alors que j’exposais l’exemple d’une femme angoissée à l’idée de reprendre le travail après un arrêt maladie qu’elle ne pouvait renouveler, on m’a conseillé de « résoudre avant tout mon problème relationnel avec mon employeur » ! Puis on a fini par me conseiller de demander à mon employeur de me licencier : ce qui est inacceptable mais en plus illégal… Autant d’exemples qui montrent que les personnes de ce réseau n’ont reçu aucune formation.

Tf : Vous avez fait remonter ces informations au ministère de la Justice, résumant ces testings et faisant part de vos inquiétudes. Qu’attendez-vous désormais ?

M. B. : Nous partons du principe que la campagne ne doit pas se limiter à une simple communication : si une victime, sensibilisée par les affiches ou le site de l’opération, se lance et appelle le numéro, la moindre des choses est que des informations fiables lui soient données. Et pour ce faire, une formation des personnes concernées est indispensable. Encore une fois, nous ne revendiquons pas d’être en première ligne de cette campagne, nous ne sommes en effet pas une plate-forme téléphonique et n’avons pas les moyens de répondre aux appels que pourra susciter la campagne. En revanche, nous connaissons exactement les réponses qu’il faut donner à une victime de harcèlement sexuel qui appelle, et cette expertise pourrait être très utile à la plate-forme référente sur la campagne, avec laquelle nous n'avons jusqu'à présent eu aucun contact. La balle est dans leur camp.

Crédit photo : iStockphoto

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