Lauréate de plusieurs prix, en France mais également outre-atlantique, récompensant ses créations théâtrales, la dramaturge Yasmina Reza est de retour au Théâtre Marigny avec sa nouvelle pièce, James Brown mettait des bigoudis. Sous ce cocasse intitulé, se cache en vérité une fable moderne loin d'être bête sur la transidentité.
Transidentité, et identité au sens le plus large qui soit d'ailleurs ! Dans cette création dialoguée et musicale à découvrir jusqu'au 7 avril 2024, l'on rencontre Jacob. Ou plutôt Céline. Car notre protagoniste s'identifie à Céline Dion, dont il imite la voix (en québécois), les gestuelles de diva, et même les salutations à un public, que l'on imagine fervent. Résidant dans un établissement dont les résidents déplorent vivre "dans le mauvais corps", il reçoit les visites de ses parents, aimants, oscillant entre incompréhension, empathie et perplexité.
On penserait déceler de l'ironie là-dedans mais avec cette comédie moins cruelle que caustique sur le rapport au corps et à soi, Yasmina Reza délivre une ode à l'autre et à sa richesse. Sur scène, le lumineux Micha Lescot (Les Amandiers) est parvenu à happer la salle par son incarnation de "Céline".
Toute l'essence de James Brown mettait des bigoudis semble d'ailleurs contenue dans cette partition que déploie Micha Lescot, tour à tour candide, émouvant, drôle et fantasque, en interprète plus vraie que nature de la Reine du Titanic. Aux questionnements burlesques de ses parents, offrant d'efficaces instants de comédie (reposant sur une minutieuse diction et des échanges pleins de tendresse), rétorque une performance très sincère.
Il faut dire que Yasmina Reza, si elle n'élude jamais quelques mots d'esprit bien sentis, ne se complait pas dans un passage au crible acerbe des enjeux contemporains. Abordant tour à tour à travers la voix de ses personnages la maltraitance barbare des corps féminins dans les contes de fées, le rapport à l'âge, et à la féminité, elle fait de sa "Céline" un électron libre qui n'a pas honte de s'assumer dans une société pétrie de conventions.
A l'instar de cette douce émancipation, la pièce, à la mise en scène épurée (quelques décors, entre fenêtres de l'institution, forêt et rues brumeuses) se voit entrecoupée d'interludes au trombone et à la guitare électrique. Un rapport à l'émotion musicale qui rapproche d'autant plus l'interprétation de Micha Lescot d'une autre, tout aussi haute en couleurs : celle de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways, le chef d'oeuvre de Xavier Dolan.
Une introspection drôle et délicate sur le genre.
James Brown mettait des bigoudis. Texte et mise en scène : Yasmina Reza. Avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et le musicien Joachim Latarjet. Jusqu'au 7 avril. Du mercredi au samedi à 20h. Le dimanche à 15h. Durée du spectacle : 1h45