Culture
Cinéma LGBTQ+ : des marges aux palmarès
Publié le 23 mai 2018 à 13:16
Par La rédaction
En marge du Festival de Cannes, le jury de la Queer Palm, a récompensé un premier film (Girl) que personne n'avait vu venir, également lauréat de la Caméra d'or et du prix d'interprétation Un Certain Regard. Un coup de pied dans la fourmilière cannoise où la communauté LGBTQ+ est encore sous-représentée et où le festival ne donne toujours pas sa place à ce prix queer.
Girl de Lukas Dhont Girl de Lukas Dhont © Diaphana
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Cela fait neuf ans que la petite équipe de la Queer Palm récompense un court et un long métrage présentés en sélection officielle ou dans les sections parallèles du Festival de Cannes avec l'envie pressante de rendre plus visible les oeuvres qui traitent de thématiques altersexuelles (homosexuelles, bisexuelles et transgenres). Dans le sillon de 120 battements par minute de Robin Campillo, Grand Prix du Jury en 2017 et César du meilleur film en mars dernier, et de Call Me By Your Name, succès surprise du début d'année, les films qui s'articulent autour de la communauté LGBTQ+ s'installent progressivement dans les sélections des gros festivals de l'industrie. Pour cette édition du festival de Cannes 2018, ils étaient deux fois plus nombreux qu'en 2017 à Cannes.


Et il y a eu, dans les courts et longs métrages présentés au cours de cette édition 2018, un franchissement notable entre le film labellisé LGBTQ+, sélectionné par esprit de quota, et l'oeuvre dont l'intérêt principal n'est justement pas sa représentation d'une communauté. Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré, romance impossible entre un jeune Breton (l'excellent Vincent Lacoste, dont la sensualité est certainement l'un des atouts majeurs du film) épris d'un écrivain parisien séropositif (Pierre Deladonchamps, décidément merveilleux), est à ce titre un parfait exemple d'une histoire d'amour où l'orientation sexuelle des personnages n'est pas le sujet principal du film. Ou quand l'on ne s'attarde plus sur un douloureux coming-out ou les soit-dits codes d'une communauté (comme le faisait de façon déplorable Épouse-moi mon pote de Tarek Boudali) pour s'intéresser au caractère purement cinématographique d'une oeuvre.

"Le reflet de la vie"


Une évolution accompagnée par la présentation remarquée d'un autre film - censuré dans son propre pays -, toujours à Un Certain Regard : Rafiki de la réalisatrice kenyane Wanuri Kahiu. L'histoire d'un amour naissant entre deux jeunes femmes soumises au regard inquisiteur de leurs proches. Également au programme de cette 71e édition du festival, Un couteau dans le coeur, deuxième film du réalisateur français Yann Gonzalez (récompensé par la Queer Palm l'an dernier pour son court métrage, Les îles), mais aussi Sauvage de Camille Vidal-Naquet, plongée dans le quotidien d'un prostitué en quête d'amour, et Cassandro The Exotico, émouvant portrait d'un catcheur gay par la trop rare Marie Losier.

L'expression criante de l'éventail infini de sujets à mettre en scène avec des personnages issus de la communauté LGBTQ+ ; une évidence qui ne l'était pas jusqu'à la timide percée de cette année. "L'homosexualité est de moins en moins le thème principal des films LGBT. Alain Guiraudie (dont le film L'inconnu du lac avait reçu la Queer Palm en 2013, ndlr), que je produis, a été l'un des premiers à défendre des personnages à part entière au-delà de leur homosexualité. S'il y autant de films LGBT à Cannes cette année, c'est tout simplement le reflet de la vie", observe Sylvie Pialat, présidente du jury de la Queer Palm.


C'est Girl du jeune cinéaste belge Lukas Dhont qui a été couronné par le prix queer cette année. Lara, jeune fille née dans un corps de garçon et passionnée de danse classique entreprend une transition vers le corps féminin. C'est peut-être avant tout la relation qu'elle entretient avec son père qui fait la qualité de ce premier film sensible, toujours au plus près du corps qui change et de l'indéfectible volonté de sa protagoniste. Victor Polster, jeune danseur professionnel qui interprète Lara dans le film, a été salué par un prix d'interprétation non genré, une première pour le festival. "J'admire la personne dont le film est inspiré, j'avais envie de la représenter. Elle a eu un parcours très compliqué et j'espère que Girl va provoquer quelque chose en Belgique, une ouverture...", nous confiait-il au lendemain de la projection du film.

En bas des marches


Malgré cette présence plus marquée, le cinéma mettant en scène des personnages et/ou thématiques LGBTQ+ est toujours soumis à la frilosité de l'industrie, qui craindrait de se priver d'un certain public. Depuis 2017, la Queer Palm reçoit une subvention gouvernementale de La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT tout en demeurant en marge du festival. Un état de fait déploré par Franck Finance-Madureira, président fondateur du prix, qui organise donc sa cérémonie dans un contexte non-officiel. C'est sur le rooftop de l'hôtel Five Seas, à 150 mètres des marches du Palais des Festivals, qu'avait lieu cette année la soirée clôturant 10 jours de projections et 16 films visionnés par le jury. À l'inverse de Xavier Dolan - qui avait refusé sa Queer Palm pour Laurence Anyways en 2012, taxant la récompense de "ghettoïsante" et "ostracisante" dans Télérama -, Lukas Dhont l'a acceptée avec joie. "C'est un prix qui a évidemment beaucoup de valeur pour nous", a-t-il déclaré avant de lancer un chaleureux "I think we're ready for love" qui se passe de traduction.

Le jury de cette édition 2018 a par ailleurs décerné la Queer Palm Hornet du court-métrage à The Orphan de la cinéaste brésilienne Carolina Markowicz, l'histoire d'un orphelin adopté puis "renvoyé" par sa nouvelle famille à cause de ses manières efféminées.

Laura Pertuy

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