C’est l’histoire de la timide Ginia, jeune apprentie dans un atelier de mode de Turin, en pleine ère mussolinienne. Dans un contexte aussi corseté, la vie de la créative introvertie se retrouve bouleversée lorsqu’elle rencontre l’irrévérencieuse Amelia…
De ce postulat somme toute traditionnel, la cinéaste italienne Laura Luchetti dresse un bouleversant portrait de femmes au pluriel, La bella estate, qui n’est autre que l’adaptation du roman éponyme de Cesare Pavese, très grand nom des belles lettres. Un récit d’amitié qui glisse délicatement vers l’amour, à découvrir dès ce 27 novembre en salles obscures.
A voir, oui, car ce voyage dans le temps aux grands éclats visuels, baigné de clarté, magnifie autant la Nature que le regard féminin, lequel se retrouve ouvertement au coeur du récit.
On vous explique.
La bella estate nous propose une escale très sensorielle le long des saisons turinoises, entre promenades à vélo, baignades, torpeur et flâneries noctambules dans la ville. Des panoramas qui reflètent les émotions de notre protagoniste, Ginia. En témoigne, cette séquence puissante où, suite à un émoi amoureux, celle-ci se recouvre de feuilles d’automne frissonnantes. Pour Laura Luchetti, il importe de nous faire ressentir au plus près les sensations de ce personnage.
Et cela, c'est tout le principe du "regard féminin", ou "female gaze", tel que décrypté par la critique cinéma Iris Brey : valoriser un point de vue qui englobe la complexité de l'expérience féminine. Intention ici illustrée lorsque notre protagoniste assure : “Je veux poser. J’aimerais être regardée pour savoir à quoi je ressemble”. Réflexion magnifique qui suggère la satisfaction des femmes à imposer leur propre regard dans la société patriarcale des années trente.
Même intention lorsque ce mouvement des saisons épouse celui d’un personnage fort : Amelia, incarnée pour sa première fois à l’écran par Deva Cassel, fille de Monica Bellucci et Vincent Cassel. Mystérieuse amie, la jeune femme incarne la liberté au féminin. Elle pose en tenue d’Eve pour des peintres, est fière de son corps, assume sa sexualité, valorise le matrimoine (“Il y a des femmes peintres, tu étais au courant ?”, apprend-t-elle à Ginia), coud ses propres robes, va dans les cafés, se promène sous la pluie, déconseille à ses amies de rester solo dans les bars.
Chez elle, l’insouciance va de pair avec une désinvolte sororité. Porté par des comédiennes très investies, le film valorise avec délicatesse cette caractérisation profondément intime et politique qui renvoie volontiers à la subtilité d’une grande femme cinéaste, Jane Campion.
En écho à cette caractérisation très contemporaine, on s’éprend de la façon dont, très subtilement, ce film d’époque épouse des enjeux hyper actuels. Ainsi Amelia est-elle jugée sur ses mœurs (supposés) tout cela parce qu’elle… Se contente de se dénuder face à des artistes. Une réflexion qui fait "mâle" et se déclinera volontiers dans les décennies suivantes.
Oeuvre foncièrement féministe, La bella estate éveille les consciences... mais compte également bousculer votre cœur avec une intensité bien réelle. Impitoyablement.
La bella estate, de Laura Luchetti. Avec Yile Yara Vianello, Deva Cassel, Nicolas Maupas, Alessandro Piavani... En salles depuis ce 27 novembre.