Le phénomène Barbie ne s'essouffle pas.
On parle déjà - "on", autrement dit ses auteurices Greta Gerwig et Noah Baumbach - d'un nouvel opus entièrement dédié à Ken, personnage particulièrement crucial du film originel, Ryan Gosling s'étant donné à fond dans ce rôle blindé d'autodérision. Plus encore, d'autres productions Mattel sont à venir prochainement, comme Polly Pocket, projet récemment abandonné par Lena Dunham, la créatrice de la série Girls.
C'est une année riche pour Greta Gerwig, qui non contente d'avoir signé le film le plus rentable de 2023 est également entrée dans l'Histoire comme la deuxième femme cinéaste à avoir été présidente du prestigieux festival de Cannes - événement qui a donné l'occasion à notre Zaho de Sagazan nationale de lui rendre un vibrant hommage, en interprétant le "Modern Love" de David Bowie, clin d'oeil au film où elle excelle, Frances Ha.
Cependant, Barbie n'a pas suscité que l'adhésion. Très loin de là même. Alors que certains conservateurs américains très médiatisés comme Ben Shapiro, ou même des responsables politiques étrangers, se sont attaqués à ce qu'ils considèrent comme de la "propagande woke, LGBTQ et féministe" (un merveilleux compliment s'il en est), des militantes à l'inverse dénoncent un discours creux, ambiguë et faussement engagé.
Du féminisme pour les nuls, en somme.
Une voix s'exprime aujourd'hui à la rescousse de la cinéaste et des critiques qu'elle cristallise : celle d'une très, très grande artiste. A savoir ? La néozélandaise Jane Campion, réalisatrice Oscarisée et couronnée à Cannes de La leçon de piano, Portrait de femme, Bright Star...
Jane Campion est un emblème du "female gaze", ce regard méticuleux de cinéaste analysé par la critique cinéma Iris Brey, qui témoigne d'une immersion artistique au plus près des sensations, de l'intériorité et de la sensibilité des personnages féminins.
Mais plus encore, c'est une immense réalisatrice, qui a su saisir la complexité de comédiennes comme Holly Hunter, Nicole Kidman, Meg Ryan, Kate Winslet, Kirsten Dunst, au détour de films à la fois poétiques, intenses, sensuels et contemplatifs. Une exigence qui s'est également déployée sur nos écrans de télévision avec des séries remarquées et primées comme Top of the lake.
Pourquoi Campion est-elle du côté des "pro-Barbie" aujourd'hui ?
C'est très simple. La néozélandaise voit d'un très bon œil le giga succès au box office mondial de cette satire pop féministe mordante car elle est persuadée qu'un tel phénomène culturel (et commercial) apporte visibilité et crédit aux femmes cinéastes. Ce qui devrait inciter décideurs et producteurs à accorder davantage de responsabilités à des réalisatrices dans une industrie encore trop peu égalitaire.
Logique comme réflexion : Barbie est le premier film réalisé par une femme à rapporter plus d’un milliard de dollars. Quelque part, c'est un véritable tournant, une date à retenir. "C’est fantastique ! Pour une fois, nous avons un film sans personnages issus de l'univers Marvel, mais une interprétation humoristique et très créative de l’histoire de Barbie et Mattel. Et Greta Gerwig en a fait un projet historique", se réjouit Campion, dixit IndieWire.
"Cela signifie aux yeux du monde qu’on peut enfin faire confiance aux femmes pour rapporter de l’argent... Au final tout est une question de pouvoir et d’argent. On dit que les femmes ne font pas de films ! Mais qu’il y en a une (comme Greta Gerwig) : vous vous dites immédiatement : « Mais où sont toutes les autres ? »..."
Pour Campion, l'impact du film de Greta Gerwig pourrait bien être indéniable sur Hollywood. Pourquoi pas ?
Mais tout le monde ne partage pas son enthousiasme. On se rappelle de ces mots de Kristen Stewart, star de l'ovni indé et queer Love Lies Bleeding : "Quand Hollywood félicite les femmes cinéastes, c'est hypocrite... "C'est facile pour eux de dire : 'Regardez ce que nous faisons à Hollywood : le film de Maggie Gyllenhaal ! Le film de Margot Robbie !'... Et vous vous dites : OK, cool, vous en avez choisi quatre !"
"Il y a cette façon de penser que nous pouvons simplement cocher ces petites cases, puis éliminer le patriarcat... Je suis impressionnée par toutes ces femmes qui font ces films à Hollywood, j'aime ces femmes mais tout ce discours semble faux. Si nous nous félicitons mutuellement pour avoir élargi notre horizon, alors que nous n'en avons pas vraiment fait assez, alors nous arrêtons de l'élargir"