Fin janvier, et pendant une semaine, les visiteuses et visiteurs de la Manchester Art Gallery n'ont pas pu admirer dans la salle "Recherche de la beauté" du musée le tableau Hylas et les Nymphes du peintre britannique John Williams Waterhouse, mettant en scène de jeunes nymphes à la peau diaphane, chères au mouvement préraphaélite. La poitrine dénudée, leurs cheveux longs flottant autour d'elles, les jeunes filles cherchent à convaincre Hylas, l'écuyer d'Héraclès, de venir vivre avec elles.
À la place de cette huile sur toile datant de 1896, la direction du musée avait accroché un mot, expliquant pourquoi elle avait pris la décision de retirer l'oeuvre de sa collection :
"Cette galerie présente le corps des femmes soit en tant que 'forme passive décorative' soit en tant que 'femme fatale'. Remettons en cause ce vieux fantasme victorien !", peut-on lire. "Cette galerie existe dans un monde traversé par des questions de genre, de race, de sexualité et de classe qui nous affectent tous. Comment les oeuvres d'art peuvent-elles nous parler d'une façon plus contemporaine et pertinente ?", questionne encore le musée, qui a également laissé à disposition des visiteur.se.s des post-it afin qu'ils puissent révéler publiquement ce qu'ils pensaient de cette démarche, inédite dans le monde de l'art.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont pas goûté à l'originalité de l'initiative. Accusant le musée de "censurer" une oeuvre d'art sous le prétexte de susciter le débat, nombreux ont aussi dénoncé un coup de com' honteux qui sort l'oeuvre de Waterhouse de son contexte : dans la mythologie grecque, les nymphes de Pégaé sont loin d'être des "formes passives décoratives" ou des "femmes fatales". Éprises d'Hylas, elles le changent en écho pour qu'il ne soit pas retrouvé par Héraclès. Ce sont elles qui sont les protagonistes du tableau, non Hylas.
Le débat, très vif, autour de la censure de l'art au nom de la "bien-pensance" s'est aussi poursuivi sur Twitter, où de nombreux internautes ont partagé une pétition réclamant le retour du tableau.
Leur combat a fini par payer puisqu'une semaine plus tard, Hylas et les Nymphes était de nouveau accroché au milieu des autres oeuvres abritées dans cette salle du musée. La direction du musée a souhaité remercier leur public pour leurs "fantastiques réactions" suite à la disparition du tableau. Cité par The Guardian, Clare Gannawat, conservatrices des arts contemporains à la Manchester Art Gallery a rappelé que le but du retrait de la peinture de Waterhouse avait eu pour but de provoquer un débat autour de la place et de la représentation des femmes dans l'art, pas de censurer. "Il ne s'agissait pas de nier l'existence d'oeuvres d'art particulières."
Et d'expliquer que l'existence même d'une salle "Recherche de la beauté au sein du musée est problématique puisque n'y sont exposées que des oeuvres de maîtres – tous des hommes – de la fin du XIXe siècle montrant leur vision de la beauté féminine : forcément jeune, dénudée et innocente. À l'heure actuelle, après le déferlement #MeToo et le lancement du mouvement Time's Up, cette vision figée de la beauté est dépassée, juge la conservatrice, qui souhaitait simplement susciter le débat.
D'ailleurs, nous apprend The Guardian, le retrait d'Hylas et les Nymphes a savamment été mis en scène pour faire la promotion de la rétrospective que consacrera prochainement la Manchester Art Gallery à l'oeuvre de Sonia Boyce, une artiste plasticienne qui ne cesse depuis des années de vouloir questionner le pouvoir du "voir" et du "montrer". Les Inrocks rappellent ainsi qu'en 1995, Sonia Boyce avait recouvert de papier noir tout une exposition du Brighton Museum & Art Gallery. Les oeuvres n'étaient visibles que par des petits trous crées sur la surface et qui ne laissaient entrapercevoir que les détails.
La rétrospective Sonia Boyce débutera le 23 mars prochain à la Manchester Art Gallery et devrait, une fois encore, susciter le débat.