Si les cosmétiques japonais sont réputés pour être innovants, leurs utilisatrices auraient toutefois tort de les sortir dans les transports en commun. Car au pays du Soleil Levant, se maquiller dans le métro déroge aux règles du savoir-vivre. Alors, pour rappeler aux femmes à bien se tenir, l'entreprise ferroviaire Tokyu Corporation a commencé à diffuser une publicité qui condamne explicitement celles qui osent sortir leur tube de mascara pendant leur correspondance. Dans le clip – qui dure environ 30 secondes – deux passagères sont en train de se refaire une beauté pendant qu'une jeune femme les observe avec dégoût. Elle prononce d'abord le mot "Mittomonai" ("repoussant", ndlr) puis se lève et provoque ses cibles avec une danse et une chanson menaçantes. Si ce n'était pas assez clair, deux messages s'affichent également sur l'écran, d'abord celui-ci : "Les femmes sont toutes belles, mais parfois, elles sont vilaines à regarder", puis celui-là : "S'il vous plaît, évitez de vous maquiller dans le train".
Présentée en septembre, la publicité de Tokyu Corporation a rapidement fait parler d'elle. Mais s'il y a eu de nombreux retours négatifs, la société affirme que les retours positifs ont été plus nombreux, ce qui la conforte dans l'idée de continuer à diffuser le spot. Qui plus est, l'attaché de presse de Tokyu Corporation insiste sur le fait que cette publicité a vu le jour suite à une étude menée auprès des voyageurs sur les nuisances dans les transports en commun. Les femmes qui se maquillent arrivant en huitième position, où est le problème ?
Le problème est pourtant bien là et il a des relents périmés. On pourrait évoquer les codes sociaux du Japon qui sont à mille lieux de ceux des Occidentaux. Mais le fait est que les femmes qui se maquillent dans les transports en commun sont les cibles privilégiées des autres passagers, et cela, quel que soit le pays. En 2012, un article de L'Express demandait à ses lectrices leur avis sur cette habitude. Et là, les critiques fusent. Quand certaines trouvent cela sale, d'autres estiment que le geste relève de l'intimité. L'une avoue carrément "guetter avec un sourire en coin le moment où la fille qui se maquille se rate". L'année suivante, en Grande-Bretagne, une étude menée sur le sujet révélait que 40% des femmes seraient prêtes à demander à celles qui se maquillent d'arrêter si cela les dérangeait.
Des jugements et du mépris qui ont poussé une journaliste du Telegraph à venir à la rescousse des pro maquillage dans le métro. Dans un article publié en 2014, elle expliquait ainsi que cela permettait simplement de gagner du temps de sommeil. Surtout, elle affirmait non sans humour que si les hommes se maquillaient, ils n'hésiteraient pas à le faire dans le métro et ne se poserait même pas la question de la bienséance ou de l'intimité.
Les femmes qui sortent leur trousse à maquillage dans les transports ont beau déranger, au fond, personne n'a de vraie bonne raison de se plaindre. Quand Tokyu Corporation demande à ses passagères de ne pas se maquiller dans le train car cela les rend moches, le "conseil" est non seulement sexiste, il est aussi à mille lieux d'être construit. En plus d'être humiliante, cette publicité est complètement vide de sens même. Un commentaire posté par une utilisatrice et relayé par le Japan Times le résume très bien : "Je pourrais comprendre si Tokyu me demandait d'arrêter de me maquiller parce que la poudre pourrait s'éparpiller ou parce que l'odeur dérange les autres passagers. Mais une compagnie ferroviaire n'a pas le droit de me dire si je suis belle ou moche".
Si une femme souhaite se maquiller dans le métro, c'est son choix. Et tant que cela ne pose aucun réel problème (et quel problème cela pourrait-il poser ?), pourquoi créer un débat ? Comme l'écrit une journaliste du site Bust, peut-être faudrait-il plutôt se concentrer sur des choses vraiment importantes, comme le harcèlement sexuel dans les transports en commun ? Pour rappel, en France, 100% des utilisatrices en ont été victimes au moins une fois dans leur vie. Quant au Japon, les femmes tokyoïtes ont carrément leurs propres rames de métro pour éviter le harcèlement. Et ça, c'est un vrai sujet.