Dans un cimetière de Rome, une suite de fosses ornées de tombes, le long d'allées ponctuées de croix en bois. Sur les pierres tombales, on lit les noms de femmes. Jusque-là, rien de très anormal. Mais dans les fosses, ce sont des foetus qui sont enterrés. C'est un véritable scandale, relayé par le Guardian, que dénonce aujourd'hui une centaine de femmes italiennes auprès des procureurs italiens : la découverte édifiante de ce "champ des anges" qui, insistent les plaignantes, "est une grave violation des droits humains et de la vie privée".
C'est pas moins d'une décennie de restes de foetus qui seraient ainsi mis sous terre, au fil de centaines et de centaines de tombes. A l'origine de ces révélations, le choc de Francesca, une femme de 36 ans qui, ayant avorté en septembre 2019, a découvert son nom au sein dudit cimetière, le Prima Porta. Rapidement, elle a relaté cette découverte morbide sur Facebook. "Découvrir cet acte bestial était horrible", déplore-t-elle désormais. Elle témoigne aujourd'hui de son "immense douleur" auprès du journal britannique.
Et pour cause. Francesca n'a pas exprimé son consentement. Jamais. Cet enterrement a été fait sans son autorisation. Un acte illégal qui serait commun aux centaines de noms qui s'alignent au sein du Prima Porta. "J'ai demandé à plusieurs reprises à l'hôpital ce qui était arrivé au foetus et ils m'ont fait croire qu'il avait été jeté. Mais en vérité il a été enterré, avec le symbole d'une croix, à laquelle je n'adhère pas, et mon nom dessus", poursuit la victime, désespérée.
Pour Francesca, ce n'est pas anodin : "cela ressemble à une punition".
"Je suis toujours surprise de voir à quel point l'Italie est en retard sur le choix des femmes. Avorter y est incroyablement difficile, comme de nombreux médecins s'y opposent. Et maintenant, ces révélations sortent...", explique une internaute. CQFD. Comme le rappelle le Guardian, l'avortement est légal en Italie. Depuis plus de quarante ans, même. Et pourtant, cette procédure n'est jamais simple, de nombreux professionnels s'y refusant par "choix moral". La preuve ? Francesca a enchaîné les hôpitaux avant qu'un établissement accepte enfin de répondre à sa demande. Dix jours ont été nécessaires pour qu'un médecin rétorque par l'affirmative.
D'où le mot de "punition", au sein d'un pays où, bien que légal, l'avortement porte encore sur lui une réputation criminelle. Silvana Agatone est justement de ces gynécologues qui n'ont jamais refusé de pratiquer l'IVG. Aujourd'hui, elle est à la retraite. Au Guardian, la médecin explique que des cimetières comme le Prima Porta "existent depuis 1937" et sont volontiers défendus par la frange la plus conservatrice du pays.
"En Italie, vous ne pouvez pas avorter de manière civilisée malgré la loi en vigueur. J'avais tellement mal après mon avortement, j'ai crié et crié pendant sept heures, mais personne n'est venu dans la pièce pour m'aider", déplore Francesca. La jeune femme rappelle qu'à Rome, seulement cinq hôpitaux acceptent l'IVG. C'est dire si l'affaire du "champ des anges" dépasse le stade du simple fait divers macabre. C'est un véritable débat de société que met en évidence ce scandale national.
Mais il peine encore à se faire entendre. Une enquête a été ouverte par les autorités italiennes afin de déterminer qui a transmis les noms des patientes qui ont eu recours à une IVG, des données normalement confidentielles. L'hôpital de Rome nie déjà toute responsabilité. Quant au ministre de la Santé Roberto Speranza, il ne s'est pas encore exprimé dans les médias. Toujours est-il que pour l'association de défense des droits des femmes Differenza Donna, qui a relayé ces révélations accablantes, l'histoire ne va pas s'arrêter là. Le collectif reçoit chaque jour des dizaines d'appels de femmes anonymes à ce sujet.
Reste désormais à savoir, comme le dit l'association, "qui au juste prend ces décisions" concernant la perduration de ces "champs des anges". Et à agir en conséquence.