"Le confinement risque de fragiliser encore plus le droit à l'avortement". L'ancienne ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol n'y va pas par quatre chemins. La situation de pandémie mondiale que nous vivons, dit-elle, est alarmante. Et pas simplement par ses victimes directes. Sur Twitter le 20 mars, la sénatrice de l'Oise fustigeait le rejet par le Sénat d'un amendement visant à aménager l'accès à l'IVG en allongeant de deux semaines les délais légaux - à l'origine, ils correspondent aux douze semaines après la grossesse. Une initiative pourtant essentielle en pleine crise sanitaire, à l'heure où le personnel soignant est débordé, la majorité des soins priorisés, et certains établissements bien moins en mesure d'assurer de telles missions.
Laurence Rossignol a pris à parti le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Veran et la ministre du Travail Muriel Pénicaud. "Les professionnels sont inquiets. Il y aura de nombreuses femmes hors délai et des services perturbés. Le gouvernement lâche les femmes et les médecins !", fustige-t-elle. Des mots fracassants. Faut-il dès lors s'inquiéter du sort réservé aux droits fondamentaux des femmes dans les semaines à venir ?
Cet amendement ne sort pourtant pas de nulle part. Il s'énonce à la demande de plusieurs professionnels de la santé, précise le texte officiel, et intervient dans un climat d'urgence : lesdits professionnels souhaitent avant tout prévenir le gouvernement "des risques d'impossibilité d'assurer les interruptions volontaires de grossesse" dans les délais actuels, alors que les hôpitaux sont surchargés. Or, ces risques "d'impossibilité", à l'instar du droit à l'avortement lui-même, ne sont pas à prendre à la légère. "L'IVG n'est PAS un geste de chirurgie programmée. C'est un soin essentiel, qui doit être disponible pendant la pandémie", rappelle à ce titre l'ancien médecin généraliste et romancier Martin Winckler, en paraphrasant le docteur et professeur américain Daniel Grossman.
"L'interruption volontaire de grossesse ne peut pas être repoussée. Les patientes ne peuvent pas attendre jusqu'à une date indéterminée. Elle doit être rendue accessible à tout moment", poursuit encore Martin Winckler.
Plus qu'une nécessité, c'est désormais une lutte pour le respect de ce droit fondamental qui se propage au sein des associations militantes. Une pétition lancée par le Collectif Avortement en Europe a déjà récolté plus de 2000 signatures. Adressée au gouvernement, à l'Assemblée nationale et au Sénat, elle en appelle à l'instauration de mesures d'urgence et s'adresse aux responsables politiques : "Les avortements ne peuvent pas attendre".
Avortements, moyens de contraception et changements contraceptifs pourraient être chamboulés par la crise actuelle, assure le collectif. "Les droits des femmes n'ont pas à payer le prix des conséquences de l'épidémie !", tacle la pétition, exigeant le maintien adapté de l'activité d'IVG et la fourniture de contraceptifs, mais aussi la fourniture de masques et de gels hydroalcooliques aux structures concernées (respect des règles sanitaires oblige), l'allongement des délais légaux et des solutions de proximité pour les femmes demandant une IVG.
Mais si la pratique des IVG risque d'être perturbée pendant la crise sanitaire, elle est pourtant loin d'être annulée, rectifie Check News. Tel que le détaille le service de fact-checking de Libération, l'IVG a d'ores et déjà été classée au sein des établissements dans la catégorie des "soins urgents". Le ministère de la Santé et le secrétariat aux droits des femmes demandent cependant aux professionnels de "favoriser les IVG par voie médicamenteuse" et de dématérialiser "le plus possible" les consultations, afin de ne pas encombrer les hôpitaux.
Mobilisées, les sages-femmes pourront consulter par télémédecine - c'est-à-dire à distance. Les patientes peuvent aussi accéder à une contraception sans renouvellement d'ordonnance. La pratique des interruptions volontaires de grossesse est donc maintenue. C'est même la direction générale de la Santé qui l'affirme, ajoutant que par-delà les "gestes barrières", les démarches et conditions d'accès "restent identiques à celles avant la crise sanitaire".
Identiques ? Cela reste à nuancer. Les interventions chirurgicales et anesthésies sont limitées pour éviter les risques de contamination, le nombre de soignants disponibles bien moindre, des établissements de santé déjà saturés, des rendez-vous repoussés, les patientes angoissées. "Nous sommes obligés de nous réorganiser. Le personnel impliqué pour les IVG est bien présent même si nous craignons qu'il ne tombe malade et ne soit décimé", s'alarme Cyril Huissoud, membre du Collège national des gynécologues obstétriciens français.
A CheckNews toujours, Laurence Rossignol s'inquiète également pour le sort des femmes se retrouvant hors délai légal. D'ordinaire, elles se rendent "en Espagne ou aux Pays-Bas" pour avorter, chose impossible avec la fermeture des frontières. En retour, l'ancienne ministre des droits des femmes craint donc "une hausse des avortements clandestins". Une fatalité appuyée par la militante au Planning Familial Danielle Gaudry, qui l'affirme du côté de France Inter : "Un certain nombre de femmes, même si elles entament les démarches dans les temps, vont se retrouver en dehors du délai légal. Il nous faudra dans tous les cas rester vigilantes".
Mais le Collège national des gynécologues obstétriciens français tient à rassurer l'opinion publique. A Libé, il assure que les patientes "hors-délais" seront prises en charge. Et que la pratique de l'IVG, "maintenue au maximum", demeure tout à fait "prioritaire". Alors que la situation actuelle est déjà suffisamment dangereuse pour les femmes (les victimes de violences conjugales confinées, mais aussi les caissières et les femmes sans abri), on ne peut évidemment que l'espérer.