Sofia*, 22 ans, travaille depuis maintenant deux ans dans un hypermarché de Metz. Un job de caissière qu'elle exerce normalement le dimanche pour gagner un peu d'argent parallèlement à ses études de langues. Mais depuis quelques jours, sa vie a basculé. Son "petit boulot" n'est plus une simple source de revenus : il s'est transformé en piège. Alors que la France est confinée depuis le 17 mars et que l'épidémie de coronavirus frappe le pays de plein fouet, Sofia est obligée d'aller travailler tous les jours pour faire tourner le magasin. Et de s'exposer quotidiennement au Covid-19. Elle nous raconte son quotidien de la peur dans le Grand Est, l'une des régions les plus touchées.
"Il y a encore quelques jours, on nous disait juste de ne pas nous faire la bise quand on arrivait sur place au travail. Et très vite, on est passé au '1,5 mètre de distance', du produit désinfectant que nous devons vaporiser sur les caisses, du gel hydroalcoolique- que nous n'avons eu qu'à partir de vendredi dernier- des marqueurs avec du scotch au sol pour respecter la distance de sécurité, des annonces régulières au micro...
Le point de bascule a été samedi dernier. On a été dévalisés. Les gens sont arrivés par vagues parce qu'ils ont paniqué. Et ça a duré samedi, dimanche, lundi... Ce lundi, ça a été la catastrophe. La police a même été obligée de réguler l'afflux parce que ça devenait l'émeute. La queue faisait quasiment la moitié du parking et la file d'attente pour passer en caisse traversait quasiment tout le magasin, sachant que c'est une très grande surface. En gros, il fallait une heure et demi pour faire passer ton caddie. La débandade.
Nous n'avons eu des gants qu'à partir de samedi, mais pas de masque. La distance de sécurité n'a été mise en place que lundi. Mais on touche quand même les articles, les pièces de monnaie, la machine à carte bleue... On est totalement exposé·e·s, tout le temps. Et puis on fait aussi les rayons car certain.es d'entre nous sommes des employé·es polyvalent·es. Donc nous sommes doublement exposé·es : en caisse et en rayon. En plus, je suis obligée de prendre le bus pour me rendre au magasin, ce qui m'expose encore une fois.
En tant que contrat étudiant, je ne bossais que le dimanche. Mais dimanche matin, on nous a annoncé que nous étions plus ou moins réquisitionné·es. Ce n'était pas tant que l'on faisait des heures en plus, c'est que c'était 'notre devoir envers la Nation' de venir travailler. Le manager nous a dit qu'avec les personnel médical, nous étions le seul corps de métier à travailler pendant le confinement. Et que donc, il était de notre "devoir" de venir et d'aider. Il nous a fait culpabiliser. Le message était clair : 'Même si vous flippez, vous venez quand même'. C'est dégueulasse comme procédé. Il aurait pu juste nous encourager et nous dire : 'Oui, c'est difficile, mais on va tout mettre en oeuvre pour vous protéger.'
Est-ce que j'ai peur ? Oui, car c'est quasiment certain que je vais être exposée au virus à un moment donné. Est-ce que je serai contaminée ? Je ne sais pas. Ce qui m'inquiète avant tout, c'est que je suis en confinement avec ma famille, avec ma mère qui est cardiaque et donc une personne à risque. Du coup, j'ai peur, oui.
Dès que je rentre, je me lave mille fois les mains, je lave tous mes vêtements, je vais prendre une douche. Je n'ai pas peur pour moi en soi. Mais c'est quasiment impossible que je n'attrape pas le virus pendant toute la durée de l'épidémie au vu des interactions que j'ai et que j'aurai, et vue la vitesse de propagation de l'épidémie. Je mets donc potentiellement ma mère en danger.
Je ne me vois pas arrêter de travailler car j'ai besoin de ce revenu. Et puis de toute façon, je ne peux pas : à moins de faire un arrêt maladie, c'est impossible de ne pas y aller. Un copain avocat m'a dit que le droit de retrait marchait uniquement si l'employeur ne prend pas les mesures nécessaires. En soi, ils respectent les consignes sanitaires données par le gouvernement. Donc j'ai laissé tomber.
Et surtout que si je tentais un droit de retrait, je ne serai pas payée. Et je n'ai même pas de prime de risque... Je suis coincée. Je vais donc au travail la boule au ventre. Tous les jours, je me dis : 'Aujourd'hui, je peux le choper'. Surtout qu'il y a 14 jours d'incubation.... Je psychote.
Je sais que là, on est parti·e·s pour au moins 45 jours. Parce que le confinement, cela risque d'être 15 jours + 15 jours, etc... Je fais mes horaires pour le moment, mais je ne suis pas sûre de tenir jusqu'au bout si je vois que cela empire encore de manière exponentielle dans le Grand Est et que le risque est encore plus grand. ON en est déjà à 61 morts... Mais je suis très tiraillée parce que je me dis : si moi je ne le fais pas, si je ne vais plus travailler, un·e collègue ne va pas le faire, puis un·e autre... Et du coup, le magasin risque d'être débordé ou de fermer. Et s'ils ferment, les gens vont paniquer. Donc si je ne vais plus travailler, ayant l'impression d'être une espèce de pilier, j'ai peur que ce soit la catastrophe totale.
Là, on a reçu quelques litres de gel hydroalcoolique mais quand arriveront les prochains stocks ? Nous ne sommes pas prioritaires par rapport aux personnels hospitaliers, ce qui est tout à fait normal. Mais on est nous aussi exposé·es et on n'est pas sûr·e·s d'avoir tout ce qu'il faut dans les semaines à venir. C'est flippant.
Mes recommandations pendant cette période de confinement ? Que les gens restent chez eux, qu'ils ne viennent pas en masse dévaliser les rayons des magasins, qu'ils soient solidaires. Nous serons livrés quoi qu'il arrive, les plateformes sont pleines, on restera ouvert. Respectez et pensez aux autres !
* Le prénom a été changé.