La situation est inédite. Aujourd'hui, la preuve d'amour la plus grandiose que l'on puisse faire à l'autre est de lui rapporter du PQ. Des Lotus ultra-confort qui n'agressent pas la peau, si vraiment on veut lui montrer la sincérité de nos sentiments. Par les temps qui courent, ce geste implique que l'on s'est battu·e bec et ongles pour choper le dernier paquet, ou au moins qu'on a parcouru des kilomètres pour trouver une étagère encore approvisionnée.
Oui car voilà, en cette période de crise sanitaire mondiale due à l'épidémie de Covid-19, les Français·e·s (et pas uniquement, il est utile de préciser que le comportement dépasse les frontières - territoriales, comme de l'impensable) se sont rué·e·s en masse sur le papier toilette. Ils ont aussi dévalisé le sucre, les pâtes et la farine, certes. Mais le PQ était bien placé sur le podium des achats compulsifs à quelques jours du confinement. C'est même devenu un mème.
Un mot nous vient à l'esprit : pourquoi ?
Car si on saisit l'utilité essentielle du produit, on sait aussi que dans l'éventualité où ces précieuses feuilles viendraient à manquer, il resterait toujours l'eau pour se laver les fesses - comme en Asie, par exemple. Un procédé bien plus hygiénique au demeurant. On aurait du coup davantage parié sur l'engouement de nos compatriotes pour des produits consommables, impérissables et réellement indispensables au fonctionnement de notre organisme, type conserves et glucides. Il faut croire que l'humain ne cessera jamais de nous surprendre.
En cherchant du côté des expert·e·s on prend connaissance du terme "achats de panique", qui caractérise bien la démarche. Il s'agit de faire des provisions en prévision d'une pénurie à venir, explique Le Figaro. Le quotidien a interrogé Louis Crocq, psychiatre, professeur en psychologie et auteur de Les Paniques collectives (ed. Odile Jacob) qui a bûché sur le sujet et analysé précisément le comportement. Il le juge d'ailleurs "incompréhensible" pour les raisons de non-comestibilité citées plus haut et du fait que le PQ ne permette pas de guérir le coronavirus - ça va sans dire.
Le média avance qu'il serait en réalité plutôt question d'un confort de vie, d'une certaine dignité qui rassurerait les consommateurs qui, déboussolés face à l'actualité, se raccrocheraient à de petites habitudes qu'ils pensent menacées. Autre réponse que l'on peut potentiellement évoquer face au phénomène : le papier toilette étant moins cher que les mouchoirs, il représente une alternative économique presque aussi efficace en cas de rhume - ou d'infection au Covid-19. Critère pratique qu'ont souhaité adresser à leur tour les Intermarchés de Magnac-Laval et de Le Dorat dans le département de la Haute-Vienne sur leur page Facebook : "Inutile d'acheter 60 rouleaux de PQ : le coronavirus ne file pas la diarrhée". C'est plutôt clair.
Et puis bien sûr, la rationalité des besoins. Mediapart l'écrit : "Imaginons une personne qui entre dans un supermarché pour acheter, disons, un litre d'huile d'olive dont il a réellement besoin. Dans les rayons, il constate des achats massifs de papier toilette, un bien dont il n'a pas objectivement besoin sur le moment. Il sait cependant qu'il en aura nécessairement besoin à un moment ou à un autre." Il s'agit de l'"équilibre de Nash", signé de l'économiste américain John Forbes Nash Jr., ou le fait de prévoir le comportement des autres pour décider du sien.
Ce mélange d'anticipation et d'imitation mène aussi parfois à des réactions discutables et confuses, en démontrent les choix de cette dame qui, au journaliste de France 2 lui demandant si elle a acheté plus que d'habitude, rétorque : "J'en sais rien, j'ai pris n'importe quoi".
Non, assure Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances. A la suite d'une réunion avec les acteurs de la distribution et de l'agroalimentaire, le dimanche 15 mars, il a ainsi assuré : "Il n'y aura pas de pénurie alimentaire si la conduite des Français est responsable. Continuez à faire vos courses comme avant". Il est également nécessaire de rappeler que le papier toilette est fabriqué en France, et que ni sa production ni son acheminement ne rencontreront de problème, si tant est que les Français·e·s ne cèdent pas à la panique.
Certains magasins ont ainsi aménagé leur fonctionnement pour réduire au maximum le manque pendant le confinement. C'est le cas en Belgique, où les supermarchés Delhaize limitent à deux articles maximum par passage en caisse dans certaines catégories comme les pâtes, l'eau, les conserves de légumes et, last but not least, le papier toilette. Une idée pour atténuer la frénésie ? En France, Bruno Le Maire a déclaré que les règles sur le travail de nuit seraient assouplies, pour que "les rayons puissent être équipés la nuit, afin de simplifier l'organisation de la chaîne logistique". Aux grand maux les grands moyens.