"Haro sur les minijupes !". On croirait entendre un slogan punchy pour les soldes d'été, mais c'est tout l'inverse. Ainsi titre le journal Courrier International pour couvrir une actualité bien moins enthousiasmante : au Cambodge, les autorités désireraient à travers un nouveau texte de loi - potentiellement applicable en 2021 - interdire le port de tenues féminines jugées trop courtes. Et dans quel but ? "Mettre de l'ordre dans l'espace public". Oui oui, car ce sont forcément les minijupes le problème.
Cette proposition constitue l'article 36 du texte, censé définir "les tenues correctes pour les hommes et les femmes", poursuit le média. Et s'il n'est pas précisément question de minijupe mais de "jupes extrêmement courtes", ou encore "de vêtements trop courts ou trop transparents", l'interdiction demeure bel et bien. Pas de panique cependant, ce trente-sixième paragraphe interdit également aux hommes "de sortir torse-nu", comme si les deux situations étaient semblables. Faut-il en rire ou en pleurer ? On hésite.
Pour bien des voix citoyennes, militantes féministes et journalistes, cette diabolisation des tenues dites "provocatrices" n'a pas grand chose à voir avec la sécurité publique. Non, il serait davantage question "d'ordre moral", de respect des traditions (patriarcales) et d'oppression des femmes, comme de leurs droits. Et si "restreindre les libertés des femmes et renforcer une culture d'impunité autour de la violence sexuelle" était la première incidence de cette proposition de loi, nous suggère le Cambodge Mag ?
La question mérite d'être posée.
Et si porter la minijupe au Cambodge était aussi illégal que de consommer de l'alcool en étant mineur·e ? Pour les opinions dissonantes recueillies par le Phnom Penh Post (le quotidien anglais du Cambodge), la comparaison est inquiétante : "la loi doit servir à protéger les droits des citoyens et non à les oppresser", nous dit-on. On s'en doute donc, ce "code d'habillement", loin d'être encore approuvé par l'Assemblée nationale ne suscite pas l'unanimité.
Citée par le Cambodge Magazine, la directrice exécutive du Cambodian Center for Human Rights Chak Sopheap craint là une énième expression "de l'exercice du maintien de l'ordre sur le corps et les vêtements des femmes par les plus hauts niveaux du gouvernement, minimisant leurs droits, l'autonomie corporelle et l'expression de soi". Et la dirigeante de l'organisation non-gouvernementale de poursuivre : "J'ai peur que ce texte de loi soit utilisé de manière disproportionnée contre les femmes qui exercent leurs libertés fondamentales". Pour Chak Sopheap, il s'agirait avant tout "de rejeter le blâme sur les femmes pour les violences commises à leur encontre".
On s'en doute, l'ombre d'un "victim blaming" virulent plane sur ce projet législatif. Une inversion de la culpabilité d'autant plus condamnable qu'elle surgit au sein d'un pays problématique. Comme nous le rappelle ce rapport d'Amnesty International, la question des violences sexuelles semble encore tabou au Cambodge. Violences à l'égard des femmes, mais aussi des jeunes filles, le plus souvent abusées au sein de leur propre famille. Il y a dix ans, nous apprend l'ONG, les journaux cambodgiens faisaient "de plus en plus souvent" état de viols, d'agressions de très jeunes filles, de viols collectifs, vraisemblablement "en augmentation au Cambodge".
Le constat n'était pas plus positif aujourd'hui. L'association Planète Enfants & Développement insiste sur l'importance de sensibiliser les populations en impliquant les hommes. D'après une étude menée par le gouvernement cambodgien et les Nations Unies, 21 % des citoyennes "reconnaissent avoir déjà subi des violences physiques ou sexuelles", dixit l'organisme. C'est pour cela que le Programme des Nations unies pour le développement en appelle à "une volonté politique et un investissement gouvernemental plus fort" pour changer la donne.
Hélas, la réponse officielle semble bien vaine si ce n'est contre-productive. Privilégier la restriction au détriment d'un déploiement des services d'aide aux victimes, n'est-ce pas là le signe d'une culture du viol banalisée ? Pour bien des organisations, la question ne se pose même plus.