Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, c'est le titre complet du chef d'oeuvre de Chantal Akerman. Dans ce film de 1976, la cinéaste franco-belge défunte en 2005 relate de manière quasi documentaire le quotidien de la Jeanne Dielman en question, incarnée par l'emblématique Delphine Seyrig, veuve quadragénaire qui, entre deux tâches domestiques, se prostitue.
Ce film maintes fois loué lors de rétrospectives et classements cinéphiles vient d'être nommé "Meilleur film de tous les temps" au sein du sondage très suivi de "Sight & Sound", la revue de cinéma du British Film Institute. Un Top que l'on retrouve depuis 1952 et qui, cette année, consacre une fiction francophone, saluée à sa sortie par Le Monde comme "le premier chef-d'oeuvre du féminin dans l'histoire du cinéma", rappelle le Guardian.
Classique "du féminin" mais surtout classique féministe.
Chose rare, Chantal Akerman devance Hitchcock et son pourtant imbattable Vertigo, mais également Orson Welles et son imposant Citizen Kane. Il est le premier film réalisé par une femme à figurer aussi haut dans le classement du BFI. Fait tout simplement historique, donc, qui vient rendre hommage à une cinéaste, et à son actrice, la comédienne féministe Delphine Seyrig (Peau d'âne, Le Charme discret de la bourgeoisie).
"Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles" a été adoubé par 1600 critiques de cinéma dans un top publié une fois par décennie. Il décrit trois jours de la vie d'une femme d'intérieur, magistralement interprétée par Delphine Seyrig", se réjouit encore Télérama , qui voit là un véritable "film d'action domestique" d'une ampleur inouïe - cette oeuvre méticuleuse dure tout de même trois heures.
A l'unisson, le quotidien belge La Libre ne cache pas son enthousiasme au sujet de ce "grand film féministe, réalisé en 1975 par une jeune cinéaste de 25 ans, vraie expérience de 3h20 citée comme référence par de nombreux cinéastes, comme l'Américain Gus Van Sant ou le Taïwanais Tsai Ming-liang".
Une annonce qui ne peut qu'inciter spectateurs et spectatrices à découvrir le cinéma d'Akerman. Mais que visionner après Jeanne Dielman ? Autrice de l'essai Le regard féminin, Iris Brey nous recommande notamment Je, tu, il, elle.
"Dans Je, tu, il, elle, on trouve l'un des scènes de sexe qui m'a le plus marqué - des rapports amoureux lesbiens. Akerman nous parle de jouissance des femmes en proposant de nouvelles images. Elle démontre qu'un rapport ne se termine pas toujours avec un orgasme masculin, que le sexe peut se filmer du point de vue de l'expérience féminine, ce qui revient à subvertir tout un rapport patriarcal aux images", raconte la journaliste.
Journaliste et autrice, Pauline Le Gall loue quant à elle les vertus de son film La captive, sorti en 2000. "C'est un film inspiré de l'oeuvre de Marcel Proust. Si ce n'est qu'ici, la fameuse Albertine ne s'appelle pas Albertine mais Ariane. Chantal Akerman nous fait épouser le regard de cette femme. C'est magnifique, épuré, très personnel. Et plein de justesse. Comme lors de cette scène où Akerman parcoure de sa caméra les profils de prostituées au sein du Bois de Boulogne. On ressent là son "regard féminin" : ce n'est jamais voyeuriste, mais très subtil".
Un cinéma marquant donc, et révolutionnaire.