Tout part d'une info des plus douteuses. Sur CNews, l'émission En quête d'esprit a présenté l'avortement comme "la première cause de mortalité dans le monde" (oui, devant le tabac et le cancer) avec, peut-on lire sur les extraits et captures d'écran largement partagées sur les réseaux sociaux, "73 millions de morts en 2022, soit 52 % des décès". Une information très vite contredite, fustigée, et qui a suscité l'indignation des spectateurs.
Ce programme, qui comme le rappelle Le Monde est en partenariat avec l'hebdomadaire France catholique, engendre depuis 24 heures les critiques des internautes, spectatrices, politiques, artistes féministes.
Nombreuses sont les saisies de l'ARCOM. "Et sinon vous êtes à l'aise dans vos baskets à présenter l'IVG comme la première cause de mortalité ?!", "Pour rappel le délit d'entrave à l'IVG est pénalement condamné en France", "47 000 femmes meurent surtout chaque année des suites d'un avortement dans des conditions dangereuses / clandestin parce que des salauds les empêchent d'accéder dignement à l'IVG", peut-on lire sur Twitter.
Ce à quoi, la chaîne a fait son mea culpa, de la voix de Laurence Ferrari : "Ce sont des données incomparables, il est impossible de comparer ces chiffres et de les mettre en miroir de ceux de la mortalité liée au cancer ou au tabac. La chaîne CNews présente ses excuses à ses téléspectateurs et auprès de toutes les femmes pour cette erreur qui n'aurait pas dû se produire"
Un "bad buzz" qui tombe bien mal, comme à contre-courant d'une lutte qui n'a jamais été aussi actuelle en France : l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution. Le mois dernier, le texte en faveur de l'inscription de l'IVG de la Constitution était justement validé à l'Assemblée nationale, à raison de 493 voix pour, et 30 voix contre.
Et alors qu'un examen de ce texte est aussi bien attendu à la chambre haute du Parlement français qu'au Congrès, la propagation de ces chiffres résonne comme une contre-attaque idéologique. C'est en tout ainsi que la chose a été perçue, parmi celles qui sont venues, à raison, rappeler la nécessité d'une bataille loin d'être gagnée. Il y a dix ans encore, pas moins de 25 millions d'avortements non sécurisés étaient pratiqués dans le monde.
Cela, la présidente nationale du Planning Familial, Sarah Durocher, le rappelait déjà largement le mois dernier, en interpellant Gérard Larcher, président du Sénat, opposé à cette entrée dans la Constitution : "J'invite monsieur Larcher à écouter les femmes sur leurs parcours concernant l'avortement ! C'est un parcours très compliqué pour toutes ces femmes, et qui ne va pas en s'arrangeant. Il faut écouter ces femmes car il y a des inquiétudes !"
Et suite à l'infographie de CNews, d'autres paroles résonnent. Parmi ces voix qui comptent, on trouve celle de la dessinatrice et autrice Salomé Lahoche. Cette artiste féministe officie notamment pour la revue culturelle et indépendante La déferlante. C'est d'ailleurs dans le cadre de ce mook militant - que nous vous avions présenté ici - que la dessinatrice a dédié quelques planches à son expérience personnelle de l'IVG.
En illustration de ces cases éloquentes relayées sur Instagram, Salomé Lahoche précise : "Je pose ça ici car hier les gros caves à la télé ont encore une fois prouvé qu'apparemment il faut rappeler tous les jours que : l'avortement ne tue pas, il sauve des vies"
"L'avortement ne tue pas, il sauve des vies". A ces mots, l'on pourrait en ajouter d'autres, complémentaires, ceux de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel : "L'avortement est bien une cause de mortalité, quand il est illégal et donc dangereux. Pour les femmes. Une femme meurt toutes les neuf minutes dans le monde des suites d'un avortement clandestin. Ça fait 47000 par an. Voilà pourquoi il faut inscrire l'IVG dans la Constitution"
Inutile d'énumérer les indénombrables causes qui font de ce combat un engagement de longue haleine à travers le monde, depuis trop longtemps déjà, mais pour n'en citer que quelques unes, éparses : lois anti IVG répressives (aux Etats-Unis par exemple), légalisation de l'IVG mais médecins "objecteurs de conscience", avortements, dans certains pays, uniquement autorisés en cas de problèmes médicaux ou de risque de santé pour la patiente...
Une liste qui pourrait continuer encore, et encore. Jusqu'à quand ?