L'événement a eu lieu dans le club Gezira, établissement exclusif niché dans le quartier de Zamalek, au Caire. A l'occasion d'une fête d'anniversaire, plusieurs femmes ont dégusté des cupcakes au glaçage particulier. Pas de cerises ni de paillettes, mais des pénis, des vulves et des paires de fesses. Des détails d'autant plus amusants qu'il y avait eu erreur sur les destinataires : cette commande spéciale était prévue pour un enterrement de vie de jeune fille, et non ce rassemblement-ci, rapporte The Independent. Qu'à cela ne tienne, les dames du club ont tout dévoré et n'ont pas résisté à poster plusieurs photos sur la page Facebook du lieu.
Quelques jours plus tard, alors que tout semblait oublié ou du moins ne poser aucun problème, les mêmes photos sont devenues virales. Et auprès des autorités, elles aussi tombées sur les clichés, cette farce ne passe pas. Les forces de l'ordre décident même d'arrêter la cheffe pâtissière, jugeant ses créations "indécentes". "Après enquête, il a été possible de déterminer la fabricante des gâteaux... Les services de sécurité ont pu l'arrêter à son domicile au Caire", informe un communiqué lunaire et inquiétant.
Pour le Dar al-ifta, l'organe consultatif, judiciaire et gouvernemental islamique égyptien établi en tant que centre de recherche sur l'islam et le droit islamique, tout produit aux représentations sexuelles est même "illégal et criminel", peut-on lire dans un post publié par l'entité sur Facebook, et ces pâtisseries "une attaque contre le système de valeurs et un abus grossier de la société".
Si l'accusée a depuis été relâchée sous caution pour un montant d'environ 300 euros (5000 livres égyptiennes, soit l'équivalent de plus d'un mois de salaire moyen), elle n'est toutefois pas tirée d'affaire. Et les participantes - auxquelles le club aurait retiré l'adhésion dans la foulée - non plus. Le ministère de la Jeunesse et des Sports égyptien se pencherait de son côté sur l'implication de l'organisme qui a accueilli la réunion privée. Tout ce beau monde pourrait désormais être poursuivi pour le simple fait d'avoir... mangé des pâtisseries illustrées.
L'avocat des droits humains Negad El Borai déplore l'incident, qui révèle selon lui qu'"il y a un segment de la société, avec le soutien de l'État, qui veut éliminer tout espace de liberté personnelle en Égypte sous prétexte de sauvegarder les valeurs familiales égyptiennes". Pour Timothy Kaldas, chercheur à l'Institut Tahrir, un groupe de réflexion centré sur le Moyen-Orient, il s'agit de décisions purement sexistes, empruntes d'un besoin patriarcal de domination des hommes.
"Ce régime (gouverné par l'ancien militaire Abdel Fattah al-Sissi depuis 2014, ndlr) est dirigé par des gens qui sont assez conservateurs sur le plan social, et l'appareil de sécurité est un segment particulièrement conservateur de l'élite", explique-t-il à The Independent. "Toute situation dans laquelle l'autonomie sexuelle des femmes est célébrée est un affront à leur idée que les hommes devraient être aux commandes. Dans ce cas, c'est la femme qui s'amuse toute seule".
Un affaire qui rappelle, évoque l'avocat, le procès contre Haneen Hossam, 20 ans, et Mawada al-Adham, 22 ans, deux influenceuses TikTok qui avaient écopé de deux ans de prison pour des vidéos elles aussi jugées "indécentes" et "violant les valeurs et les principes de la famille égyptienne". Le 12 janvier, bien que la cour d'appel ait annulé leurs peines, le procureur a par la suite ordonné leur maintien en détention. Un nouvel appel devrait être requis par l'avocat des accusées.