Tom Cruise, Scarlett Johansson... Difficile de passer à côté de ces noms-là. C'est en bonne connaissance de leur résonnance que ces deux célébrités ont décidé de soutenir une vaste mobilisation qui touche le paysage hollywoodien, des acteurs et actrices aux producteurs et productrices : le boycott de la célèbre cérémonie des Golden Globes.
Cela fait depuis 1944 que la Hollywood Foreign Press Association (ou HFPA pour les intimes) organise cet événement artistique diffusé sur NBC, récompensant chaque année les oeuvres et artistes les plus remarqués de l'usine à rêves - mais aussi de l'industrie télévisuelle. Des rêves volontiers déconstruits à l'heure où de nombreuses voix, des célébrités aux studios de production et de distribution comme WarnerMedia, en appellent à une profonde remise en question de ces simili-Oscars, d'ores et déjà annulés par la chaîne NBC pour l'année 2022.
Tom Cruise a même rendu ses Golden Globes en signe de protestation. Mais pourquoi donc ? Réponse limpide : la HFPA ferait l'objet de failles critiques, et notamment d'un manque certain d'inclusivité. On rembobine.
Annuler les Golden Globes Awards, une entreprise qui aurait peut-être pu sembler absurde il y a de cela quelques mois encore. Et pourtant, en février dernier déjà, l'initiative était sur bien des lèvres, suite à la révélation par le Los Angeles Times du manque de représentativité parmi les juré·e·s de la cérémonie. Effectivement, l'événement du HFPA n'aurait employé aucun membre noir au sein des votants durant... ces vingt dernières années.
Un malaise certain que la HFPA a promis de corriger par le biais d'une "réforme systémique", comme le rapporte le magazine Stylist. Un projet de réforme consistant notamment à recruter davantage de journalistes noir·e·s au sein de leur comité. Une remise en question que beaucoup jugent bien trop timide.
Au point de se voir désignée par Tina Tchen, présidente de Time's Up, projet collectif contre le harcèlement sexuel, comme une suite "de platitudes de façade". Tacle énoncé sur le site de la fondation et à moitié validé par la chaîne de télévision NBC, qui affirme dans un communiqué "croire en l'engagement de la HFPA dans une volonté de réforme significative"... mais n'en a pas moins décidé d'annuler le show. Et ce dans l'attente "d'un changement dont l'ampleur demande du temps et du travail". Patienter, en attendant une (r)évolution.
Cela étant, les Golden Globes n'ont pas attendu que Tom Cruise renvoie deux de ses statuettes dorées, ou que NBC se permette un courrier officiel, pour faire grincer des dents. Depuis des années déjà, une actrice de renom comme Scarlett Johansson a affirmé son refus de participer aux conférences de la Hollywood Foreign Press Association "après avoir été confrontée à des questions et remarques sexistes de certains membres de la HFPA, qui frôlaient le harcèlement sexuel", comme elle a pu l'expliquer au magazine Variety.
Un sexisme qui a longtemps plané sur la cérémonie. En 2020, les réalisatrices se voyaient ainsi ignorées par les Golden Globes, au sein d'une catégorie monopolisée par les hommes (Bong Joon Ho, Sam Mendes, Todd Phillips, Martin Scorsese, Quentin Tarantino). Nulle trace de Greta Gerwig, Lorene Scafaria et autres Olivia Wilde cette année-là. "Qu'il s'agisse des scénarios ou des cinéastes, il me semble que les Golden Globes ont toujours valorisé des histoires traditionnellement masculines", déplorait alors la scénariste et journaliste américaine Jill Gutowitz.
Sur les réseaux sociaux, le mot-clé #ChangeisGolden, notamment soutenu par l'acteur Mark Ruffalo et la réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay, incite les voix, professionnelles ou non, à se libérer. Des noms de prestige comme Netflix et Amazon ont rejoint le mouvement de boycott. Une indignation soutenue par bien des spectateurs, d'autant plus si l'on considère l'impression d'étrangeté relative à certaines sélections.
Exemple ? Cette édition 2021 ayant mis en avant Emily in Paris tout en snobant I May Destroy You, la production HBO écrite, réalisée et incarnée par l'artiste britannique noire Michaela Coel. Une série qui n'a même pas obtenu le privilège de la nomination. Ou comment rater la marche du progressisme.
Mais par-delà ces éléments de réponse, on pourrait envisager le boycott actuel des Golden Globes comme le prolongement direct d'un mouvement plus vaste encore, et aux nombreuses déclinaisons actuelles.
On pense à l'usage du hashtag #OscarsSoWhite employé depuis quatre ans pour protester contre l'invisibilisation des personnes racisées à Hollywood et ainsi lutter contre des discriminations trop systémiques - racistes, mais aussi sexistes. Une forme d'activisme digital qui ne vise pas simplement à s'interroger sur l'équité des récompenses mais aussi sur la composition des rangs occupés par celles et ceux qui les distribuent.
Des mobilisations qui comptent, quand bien même les lignes restent (vraiment) difficiles à faire bouger. La preuve, la fondation féministe Time's Up prédit déjà que les prochains Golden Globe Awards "seront criblés des mêmes problèmes fondamentaux qui existent depuis des années" tant qu'il n'y aura pas "de calendrier concret pour mettre en oeuvre ces changements et ces transformations systémiques promises". Une appréhension partagée.
Et la Hollywood Foreign Press Association alors ? Les échos qui en émergent ne sont guère apaisés. "Nous ne sommes pas une organisation raciste. C'est ce pays qui est raciste. Peut-être que nous sommes trop centrés sur nous-même, et que nous ne réfléchissons pas assez au climat politiquement correct dans ce pays", explique ainsi un membre de l'organisation. Et Judy Solomon, présidente des Golden Globes durant les années 80, de poursuivre : "Nous n'avons pas de gens qui ont la peau noire pour une simple raison : personne ne s'est proposé".
En attendant des débats un brin plus solides, la réalisatrice noire Ava DuVernay en appelle à soutenir la vague, l'espace d'une tribune limpide : "Tout compte. Même l'annulation des Golden Globes. Les élans de la sorte résonnent dans toute notre industrie, en particulier pour les artistes noir·e·s. Félicitations aux militants, artistes et dirigeants qui ont pris position".