On attendait la série depuis un moment. Le pitch avait l'air assez léger pour nous faire rêver l'espace de quelques épisodes : une Américaine qui débarque à Paris, ville lumière et de l'amour (et pas du coronavirus), pour vivre sa meilleure vie de célibataire et de jeune marketeuse prometteuse. Un projet signé Darren Star, créateur de Beverly Hills, Melrose Place, Sex and The City et Younger entre autres. Une base solide en termes de plaisir coupable, donc, même si la vision lissée de la Capitale de ce dernier nous avait déjà tiré quelques soupirs d'agacement par le passé.
Et puis, la bande-annonce est sortie. Là, on a commencé à tiquer. La minute cinquante d'extraits puait déjà les clichés et la pauvreté de scénario. Ménage à trois, tour Eiffel qui scintille sans interruption, clope dans les bureaux : il ne manquait qu'un plan de la protagoniste avec un béret rouge assise au Café de Flore pour parfaire le tableau. Et une baguette de pain sous le bras si on pousse.
On flairait d'ici les retournements de situation nazes et les associations vestimentaires douteuses. Sans parler du choix des quartiers de tournage qui semblait éviter la Rive droite (sauf Montmartre et le Marais bien sûr). Evidemment, ça n'a changé en rien notre envie de se ruer sur Netflix le 2 octobre pour lancer le pilote. Ce qu'on a fait, pour finalement s'enfiler les dix parties en un week-end, et ressortir de ce binge-watching aussi exaspérée que divertie. Explications.
On ne va pas y aller par quatre chemins : les deux premiers épisodes sont catastrophiques. Inregardables en VF (la doublure d'Emily parle français avec un accent américain dramatique), on a changé pour la VO au bout de trois minutes. Assez pour avoir saisi l'essentiel de l'intrigue : Emily Cooper (incarnée par Lily Collins) est envoyée dans la Capitale comme expat' pour "donner son point de vue américain" à une agence de marketing de luxe parisienne que sa firme vient de racheter.
Elle arrive pleine d'espoir quant à cette nouvelle vie qui démarre. On la comprend, Paris, on y vit depuis dix ans, c'est cool. Mais voilà, la fringante Américaine semble un peu chamboulée par tous ces nouveaux codes qui diffèrent des "States", et les manies bien curieuses du peuple français. Par exemple, la bise. Dans Emily in Paris, tout le monde se fait la bise. Des gros bisous sur les joues de la part du voisin d'en-dessous qui la rencontre pour la première fois, ou encore du grand patron de l'agence qui l'accueille comme si ils avaient élevé les cochons ensemble.
Non.
On entend que le rituel puisse décontenancer quand on est plutôt habitué·e à se faire des hugs pleins de transpi (c'est gratuit), mais en France, on n'embrasse pas le visage de n'importe qui n'importe quand. Et si la bise corporate existe certainement, c'est loin d'être la norme. Tout comme la cigarette au bureau, qui prouve que les auteur·ice·s de la série ont certainement loupé le mémo sur la loi Évin.
En parlant de cigarette, autre cliché qui nous a fait sortir les yeux des orbites tellement on les a levés au ciel : la boss Parisienne (Philippine Leroy-Beaulieu) qui se contente d'une Gauloise au déjeuner. Là aussi, non. On bouffe comme tout le monde, voire même mieux. Notre pays est plutôt connu pour ça : le temps qu'on prend pour déguster un bon repas. Emily devrait le savoir d'ailleurs, elle qui s'extasie à base de "Oh my god !" orgasmiques en croquant dans un "panochocolat" qu'elle ne réussira jamais à prononcer.
Sylvie Grateau, la fameuse n+1 qui mange des clopes, écope d'ailleurs d'une autre couche de stéréotypes à la française puisqu'elle est imbuvable, ne porte quasi que du noir, et couche avec son client marié. Parce qu'en France, personne n'est fidèle, c'est socialement accepté. Et tout le monde est odieux.
On soupçonne que Darren Star ait eu une expérience mitigée de ce côté de l'Atlantique. Si on devait faire un pourcentage du nombre de personnages qui sont exécrables au premier contact, on dirait 80 %, au bas mot. Lily Collins elle-même confiera que le script est fidèle à ses propres expériences et à celles de ses proches. De la méchanceté pure et gratuite à l'égard de l'héroïne pourtant si gentille qui ne demande qu'à acheter des roses (au fait, un bouquet de roses à 5 euros, ça n'existe pas) ou, justement, son "panochocolat" à une boulangère qui lui reprochera son français médiocre.
Au travail, ses collègues iront jusqu'à l'appeler "La Plouc", un créateur jusqu'à lui crier "ringarde" au visage. Mais heureusement, Emily et sa joie de vivre viendront à bout de ces méchants locaux tout bougons. Elle finira même par les conquérir, et se faire accepter comme l'une des leurs, elle et sa collection conséquente de bobs de pluie qui donneraient raison à ses détracteurs. Tellement, qu'elle adoptera les prétendus codes de notre cher pays en s'amourachant de son voisin du dessous (l'irréel Gabriel interprété par Lucas Bravo), puis en devenant BFF avec sa petite-amie (Camille Razat) pendant qu'elle continuera de le dragouiller en douce. Sororité, j'écris ton nom.
Pas une seconde cependant, aussi remplie soit sa vie parisienne, Emily ne perdra de vue le but de sa mission : apporter un "point de vue américain" à l'agence locale. Traduction : éduquer les Français·e·s qui ne comprennent pas grand-chose à la société dans laquelle on vit. Qui regardent #MeToo de haut, qui sont à la masse en termes de réseaux sociaux et qui viennent bosser à 11h15 le matin.
Alors qu'elle, avec ses quatre photos de Montmartre qui lui décrochent 20 000 abonné·e·s sur Instagram en deux jours et demi et ses campagnes marketing pas franchement révolutionnaires mais tout de même retweetées par Brigitte Macron, elle sait de quoi elle parle.
Pour ce qui est de #MeToo en revanche, et du harcèlement sexuel contre lequel elle assure se battre - à très juste titre - on note une petite contradiction quand Emily semble trouver plutôt normales voire agréables les avances de ses potentiels clients. Des hommes qui veulent bien bosser avec elle si c'est pour mieux la mettre dans leur lit. Mention spéciale pour la scène où l'un d'eux lui envoie de la lingerie et que tout le monde trouve ça chic. Et pire, elle s'en accommode.
Là non plus, faut pas pousser. On n'ira pas jusqu'à dire que la France est première de la classe pour ce qui est de la lutte anti-sexisme, mais les mouvements féministes font aussi bouger les choses ici. Sauf que bizarrement, pas de manif' #NousToutes dans le Paris d'Emily.
Difficile de voir en quoi l'oeuvre nous a "divertie" ? On y arrive. Aussi insupportables soient quelques-uns (tous ?) des stéréotypes décrits dans une série faite sur-mesure pour des Américain·e·s qui ne connaissent pas vraiment Paris, il y a aussi des qualités. Notamment le personnage de Mindy, amie sino-coréenne originaire de Shanghai, qui décoince un peu les dialogues et nous arrache quelques sourires.
La beauté des décors façon carte postale ripolinée qui, après 30 minutes de corps à corps à 18h30 sur la ligne 13, nous rappelle que tout n'est pas à jeter dans notre chère capitale. Et puis les remarques bien senties de Luc, tantôt gros pervers, tantôt fin observateur, qui la mouchera brillamment, lui rappelant qu'il est plutôt ironique de sa part de se plaindre de l'"arrogance" des Français·e·s, alors qu'elle vient de déménager dans un pays dont elle ne parle pas la langue, s'attendant à ce que tout le monde comprenne parfaitement la sienne. Ou encore synthétisera toute la différence entre France et Etats-Unis par un : "You live to work, we work to live" ("Vous vivez pour travailler, nous travaillons pour vivre"). Simple et efficace.
Emily in Paris n'a clairement rien d'un chef-d'oeuvre, vous l'aurez compris, mais passé le cap des deux premiers épisodes, le show se transforme en défilé de jolies images qu'on prend malgré tout plaisir à regarder. Pour critiquer vivement leur contenu, sans aucun doute, mais aussi se concentrer, l'espace de quelques heures, sur autre chose que le discours du ministre de la Santé Olivier Véran et la couleur (écarlate ++) de l'Île-de-France.