On s'attendait à des mesures fortes : elles sont tombées. Suite aux enquêtes glaçantes de Libération et Numerama et une myriade de témoignages sur les réseaux sociaux révélant des actes de violences et de harcèlement sexuel visant des cadres au sein du groupe Ubisoft, l'éditeur de jeux vidéo français a annoncé ce dimanche 12 juillet le départ de plusieurs responsables, dont son numéro 2 le directeur créatif Serge Hascoët, celui de la directrice des ressources humaines Cécile Cornet (qui restera cependant salariée précise Le Figaro), et le directeur des studios canadiens, Yannis Mallat.
Dans un communiqué diffusé ce dimanche (12 juillet), Yves Guillemot, PDG d'Ubisoft, a ainsi déclaré : "Ubisoft n'a pas été en mesure de garantir à ses collaborateurs un environnement de travail sûr et inclusif. Ce n'est pas acceptable. Tout comportement toxique est en opposition totale avec les valeurs avec lesquelles je n'ai jamais transigé et avec lesquelles je ne transigerai pas."
Alors que l'entreprise de 18 000 salarié·e·s avait annoncé le lancement d'une enquête interne le 26 juin suite aux accusations, le numéro deux de l'entreprise "Serge Hascoët a choisi de démissionner de son poste de chief creative officer [directeur de la création], avec effet immédiat. Ce rôle sera assumé dans l'intérim par Yves Guillemot, PDG d'Ubisoft."
Dans les colonnes de Libé, les langues se déliaient, pointant la responsabilité du puissant Serge Hascoët, 55 ans, reconnu pour avoir "le comportement le plus toxique de toute l'entreprise", selon une source émanant du service RH. "Il est malin, parce qu'il navigue sur une ligne de crête. Tout le monde le sait, le connaît pour ça. Il est même valorisé pour sa toxicité."
Une ambiance toxique dont témoignait une trentaine d'employé.e.s et anciens salarié.e.s dans les enquêtes de Libération et Numerama. Commentaires sexistes ("J'étais toujours aux aguets, toujours en train de me dire quelqu'un va me dire un truc et ça va partir en propos salaces"), harcèlement et agressions sexuelles ("Quand il m'a plaquée dans un coin, sur un mur, et a essayé de m'embrasser (...) J'étais bien évidemment terrifiée et immobilisée"), ces agissements et cette atmosphère malsaine de boys club étaient connus de toutes et tous, mais auraient été couverts par la DRH ("Elle savait parfaitement ce qu'il se passait", rapportait ainsi une source à Numerama).
"Il y a des hommes de pouvoir qui se permettent tout et qui doivent être écartés de l'entreprise parce qu'ils font du mal aux femmes. Et il y a autour d'eux un système global qui cautionne ces comportements et les protège en empêchant tout recours. Un système qui rend impuissant parce que de toute façon, les jeux vidéo, c'est fun, on rigole, on peut tout faire, tout dire, car rien n'est grave", confiait ainsi une source à Libération.
Suite à ce #MeToo de grande ampleur, Ubisoft, qui compte 22 % de femmes (contre 14 % dans l'industrie du jeu vidéo selon le baromètre français de 2019), a mis en place une série de mesures pour endiguer ces dysfonctionnements structurels : une plateforme pour recueillir les témoignages anonymes, un "responsable Diversité et Inclusion" et "une responsable de la Culture d'Entreprise (Head of Workplace Culture)", chargé·e·s de veiller à cette transformation de culture. "Je tiens à dire à ceux qui ont pris la parole ou qui ont soutenu des collègues : vous êtes entendus et vous contribuez à conduire les changements nécessaires au sein de l'entreprise", a fait savoir le PDG Yves Guillemot.
Le numéro 3 mondial du jeu vidéo serait-il enfin prêt à faire sa mue ? Il serait temps. Car alors que 50% des joueurs sont des femmes, le jeu vidéo reste un milieu professionnnel qui tend à exclure et violenter ses salariées. Ce scandale permettra-t-il enfin au secteur de se regarder en face afin d'opérer un virage salutaire pour contrer le sexisme ambiant ?