En 2020, l'événement pourrait sembler impensable : sanctionner des adolescentes pour des tenues jugées trop "courtes", "vulgaires", "provocantes". Et pourtant, c'est encore tristement commun. Jeudi 10 septembre, au lycée de Boulogne-sur-mer, l'information circule : une jeune fille a écopé d'une heure de colle pour ces mêmes motifs. D'autres ont été réprimandées par des surveillantes.
"Six filles du lycée E.Branly de Boulogne-sur-Mer ont reçu des réflexions désobligeantes", écrit une personne sur Twitter, dont les propos ont été repérés par La Voix du Nord. "Une des surveillantes a justifié le viol par la tenue jugée 'provocante'", dénonce une autre. France 3 Hauts-de-France rapporte encore que certaines ont été rappelées à l'ordre pour leur "l'absence de soutien gorge" ou "leurs tee-shirts trop courts laissant découvert leur ventre". Hallucinant.
Si le proviseur de l'établissement assure qu'il n'y a pas eu de "répression" au quotidien local La semaine dans le Boulonnais, les élèves n'en démordent pas. Et veulent faire entendre leur liberté de s'habiller comme elles le souhaitent.
Vendredi 12 septembre au matin, elles manifestent devant le lycée, en décolleté, en crop-top, en mini-jupe, pancartes à la main. "La tenue ne justifie pas le viol", "éduquez vos fils", peut-on lire, comme d'éreintants rappels que la honte doit changer de camp. Que l'on ne "provoque" pas en portant une tenue qui dévoile sa peau. Provoquer quoi, d'ailleurs ? Un viol ? Une agression sexuelle ? Un comportement sexiste ? La provocation est un mythe machiste nocif, qui dédouane les véritables coupables, aux dépens des victimes d'un crime, mais aussi une société aux doubles standards qui diabolise le corps des femmes et protège les hommes.
A Dax, dans les Landes, même consternation devant des affiches accrochées au mur par l'administration de deux lycées, qui épinglent des tenues interdites dans l'enceinte scolaire. "Avec cette tenue, je vais à la plage / en soirée / avec mes potes / en cours d'EPS, pas au lycée". Traduction : pas de jogging, de jean troué, de jupe, de décolleté ou de hauts laissant apparaître le nombril. "C'est surréaliste en 2020 de voir ça", déplore un jeune.
Rapidement, les événements et l'indignation des élèves des deux établissements sont relayés en ligne, et les témoignages similaires fusent sur les réseaux sociaux. Les internautes pointent notamment du doigt la mention "tenue correcte exigée", qui figure dans de nombreux règlements intérieurs (mais pas dans la loi), et dont les interprétations varient au gré des établissements et des convictions de celles et ceux qui la font appliquer.
"Aujourd'hui au lycée on m'a dit que ma tenue était 'vulgaire' ?", témoigne une jeune fille. "Une surveillante de mon lycée s'est permise aujourd'hui de me faire une remarque sur ma tenue parce que c'était trop court et pouvait provoquer. Est-ce provocant ?", interroge une autre.
Pour Mathieu Devlaminck, président de l'Union nationale des lycéens (UNL), "ce n'est pas seulement un problème esthétique mais de bien-être et d'acceptation de soi", tweete-t-il. "Le lycée doit être un lieu inclusif." Auprès de Yahoo, il condamne : "Restreindre la liberté de s'habiller, c'est empêcher les élèves d'être eux-mêmes. On aimerait que la mention 'tenue correcte exigée', qui est totalement floue et permet aux établissements de faire ce qu'ils veulent, soit retirée."
Pour faire davantage entendre leurs voix, les lycéennes ont appelé - sur TikTok et Twitter via le hashtag #Lundi14Septembre - à se mobiliser dans tous les établissements de France, ce lundi 14 septembre. Le mot d'ordre : porter fièrement les vêtements que l'administration scolaire taxe d'inappropriés, de vulgaires, en soutien à celles qui ont subi les réflexions et décisions sexistes d'un lieu censé prôner la liberté et l'égalité. Et surtout, rappelons-le, le droit à l'instruction sans discrimination.
Un mouvement qui a pris une ampleur colossale, jusqu'à attirer l'attention des associations féministes et des politiques. Dimanche 13 septembre, le collectif #NousToutes lançait : "Nos tenues ne sont pas le problème. Le problème, c'est le harcèlement, les agressions et les viols. Soutien à toutes celles et ceux qui refusent la culpabilisation des femmes." Marlène Schiappa, ex-secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, affirme à son tour ce lundi : "En tant que mère, je les soutiens avec sororité & admiration".
Mathieu Devlaminck, lui, conclut : "Il faut faire confiance aux jeunes. Oui les jeans troués, le ventre apparent, sont des évolutions vestimentaires, mais c'est une question de liberté".