C'est à la lecture des résultats, accablants, de cette enquête qu'on comprend à quel point le combat pour les droits des femmes et la reconnaissance des victimes de violences machistes est loin d'être terminé.
Publiée ce mardi, cette vaste étude sur les représentations du viol et des violences sexuelles chez les Français a été réalisée par l'institut IPSOS pour l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. Réalisée sur Internet entre le 25 novembre et le 2 décembre 2012 auprès d'un échantillon de 1 001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, elle met en lumière la prégnance des stéréotypes et mythes sexistes dans les mentalités.
"Nous vivons dans une société où la méconnaissance de la réalité des violences sexuelles, de leur fréquence et de la gravité de leur impact traumatique conduit à les reléguer dans la catégorie 'faits divers' alors qu'elles représentent un problème majeur de santé publique, et participe à la non reconnaissance des victimes et à leur abandon sans protection, ni soin", explique Mémoire Traumatique et Victimologie.
Premier constat fait à la lecture des résultats de l'enquête : pour une majorité de Français, femmes et hommes ont une sexualité différente. 66% des répondants estiment ainsi que les hommes ont une sexualité plus "simple" que les femmes. 63% pensent qu'il leur est également plus difficile de maîtriser leur désir sexuel.
Ces stéréotypes sexistes, fortement ancrés dans les mentalités, tendent à minimiser la responsabilité des hommes qui agressent sexuellement les femmes. Plus de 4 Français sur 5 (76%) jugent que "les femmes ont plus tendance à considérer comme violents des événements que les hommes ne perçoivent pas comme tels" et 42% que les femmes se montrent "moins rationnelles" que les hommes. Enfin, 1 Français.e sur 4 considère que "dans le domaine sexuel, les femmes ne sauraient pas vraiment ce qu'elles veulent par rapport aux hommes".
De chiffres qui achèvent de discréditer les dires de femmes se disant victimes de viol ou de violences sexuelles. "Moins rationnelles" que les hommes et ne "sachant pas vraiment ce qu'elles veulent", elles s'avèrent pour les répondants en partie responsable des actes qu'elles ont subis. Dans un même temps, la responsabilité des violeurs est atténuée. 19% des Français.e interrogés considèrent ainsi que "lorsque l'on essaye d'avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent 'non' mais ça veut dire 'oui'". 21% des répondants estiment que "lors d'une relation sexuelle, les femmes peuvent prendre du plaisir à êtres forcées".
Cette vision du consentement, typique de la culture du viol, est particulièrement ancrée chez les jeunes : 31% des 18-24 ans interrogés pensent qu'une femme peut prendre du plaisir à être forcée à avoir un rapport sexuel.
"Cette croyance peut avoir des effets dévastateurs, déplore l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. Donner du crédit à ce type d'assertion revient à considérer que les femmes sont incapables de décider pour elles-mêmes et ont besoin des hommes pour comprendre quels sont leurs vrais désirs. C'est leur dénier la faculté de décider de consentir ou non à un rapport sexuel."
D'incapables de décider par elles-mêmes, les femmes sont aussi très rapidement considérées comme responsables des violences qu'elles subissent. Se rendre seule chez un inconnu, adopter une "attitude provocante" ou séductrice, flirter ou porter une tenue très sexy : autant de circonstances qui atténuent la responsabilité du violeur et rendent leur victime coupable.
Finir par "céder" à son violeur est aussi préjudiciable et minimise l'agression subie : 16% des répondants estiment qu'avoir un rapport sexuel avec une personne qui dit clairement non mais qui cède quand on la force ne relève pas du viol mais de l'agression sexuelle.
Enfin, beaucoup de Français.e.s considèrent que l'on peut, si on le veut, éviter de subir un viol : 41% des personnes interrogées estiment ainsi que si on se défend vraiment autant que l'on peut, on peut faire fuir son violeur. De là à considérer que c'est la victime qui est en cause puisqu'elle ne s'est pas assez défendue, il n'y a qu'un pas. 1 Français.e sur 4 (25%) estime par ailleurs que "lorsque l'on respecte certaines règles simples de précaution, on n'a quasiment aucun risque d'être victime de viol". Les hommes les plus âgés sont les plus nombreux à le penser.
"Cette mise en cause des comportements des victimes sous-entend qu'elles sont pour quelque chose dans la survenue des violences, qu'elles en sont responsables d'une façon ou d'une autre, qu'elles ne se sont pas comportées de la bonne façon, qu'elles se sont exposées de façon irresponsable, qu'il y avait sûrement autre chose à faire qui aurait permis d'éviter ces violences, et qu'en dernier ressort c'était à elles de se protéger plus efficacement ou de mieux faire comprendre à l'auteur des violences qu'elles ne voulaient pas ou qu'il ne fallait pas qu'il se comporte ainsi."
Enfin, l'enquête met en lumière une méconnaissance totale de la réalité du viol en France. Pour 55% des répondants, le violeur vous attend dans une ruelle sombre ou un parking désert. 40% pensent aussi que c'est un homme que la femme ne connaît pas. Or, rappelle Mémoire Traumatique et Victimologie, dans 90% des cas, les victimes connaissent leur agresseur. 58% des viols sont perpétrés dans le couple et, pour les mineurs, 53% au sein du cercle familial. Seuls 11% des sondés jugent qu'un membre de la famille de la victime peut être le violeur, et seuls 6% un partenaire ou un conjoint.