"Chaque lundi matin, je devais lui envoyer des photos de moi en sous-vêtements, devant et derrière. Ensuite, il a voulu des photos encore un peu plus intimes, en string. J'ai refusé". Elles sont édifiantes, ces paroles douloureuses de Marion Sicot. Mais nécessaires. La coureuse cycliste française a décidé de mettre fin à son silence. Témoignage à l'appui, elle porte aujourd'hui plainte contre son ancien directeur sportif pour harcèlement sexuel.
Au coeur de ces faits accablants, ces demandes insistantes de photographies "intimes", donc. "C'était déjà assez gênant et difficile pour moi de lui envoyer ces photos. Sa justification, c'est qu'il devait surveiller mon poids", poursuit la sportive du côté de Franceinfo. Mais aussi, une forme de pression psychologique considérable : celle qu'un supérieur peut imposer à de jeunes coureuses, déjà accablées par les enjeux de la compétition.
Les mots de Marion Sicot ne sont pas énoncés en l'air : selon L'Equipe, cette dernière aurait déjà présenté pas moins de 450 pages de preuves aux enquêteurs, réunissant des conversations privées alimentées sur Whatsapp trois années durant, et qui mettraient en évidence ces abus de pouvoir perpétués en toute impunité. Mais hélas, cette affaire n'a rien d'exceptionnelle. Car Marion Sicot n'est pas la seule à ouvrir la voix désormais.
En vérité, pas moins d'une vingtaine de coureuses cyclistes auraient saisi l'Union cycliste internationale en deux ans, afin de dénoncer l'attitude des directeurs sportifs et managers envers elles. C'est par exemple le cas de Chloë Turblin, qui a déposé une plainte contre son ancien patron pour harcèlement moral. "Encore aujourd'hui, malheureusement, j'aimerais pouvoir aimer mon sport comme avant, avoir la même envie, la même motivation. Mais je ne l'ai plus. C'était ma vie le vélo. J'ai grandi en faisant du vélo, en me dépassant chaque jour depuis des années. C'est du sacrifice et d'avoir vu ce qui peut se passer à un haut niveau, ça m'a dégoûtée", a-t-elle déclaré.
Présidente de l'Association Française des Coureures Cyclistes, Marion Clignet tire elle aussi la sonnette d'alarme. Elle en appelle à sensibiliser l'opinion publique, et notamment les jeunes cyclistes, aux relations non-acceptables entre coureuses, managers et coachs, afin que celles-ci ne se banalisent pas. Et c'est pensant aux victimes de tels abus (harcèlement moral, sexuel, pressions diverses) que l'AFCC a décidé d'ouvrir en juillet prochain une cellule psychologique consacrée, où les sportifs et sportives pourront notamment échanger avec trois psychologues.
Du côté de l'Union cycliste internationale, qui a jugé l'attitude du manager de Marion Sicot "inappropriée", une enquête est donc ouverte. L'accusé, quant à lui, se défend de toute culpabilité : il assure avoir cessé d'exiger des photos de la sportive en sous-vêtement une fois "son poids acceptable" retrouvé. Au micro de France Bleu, Marion Sicot insiste sans détour sur la force de cette emprise : elle aurait par exemple beaucoup hésité à envoyer lesdites photos. "J'avais tellement envie de participer aux compétitions que je me suis dit "bon, allez je le fais", sinon j'avais peur des représailles ou autres ou de ne pas courir au final sur les compétitions", déplore-t-elle.
C'est cette manipulation morale et l'accablement aussi bien psychologique que professionnel qu'elle a suscité, qui l'aurait même poussée à prendre de l'EPO en juin 2019. "Je me suis dit : soit tu es contrôlée et toute cette année s'arrête avec ton directeur sportif, soit tu feras une autre performance et il te laissera peut-être tranquille pour le reste de l'année", explique-t-elle en ce sens à Franceinfo.
Une situation qui en dit long sur la condition des femmes sportives.