On connaissait déjà le fameux dossier "La bonne manière d'aborder l'affaire Weinstein", un document Excel de 57 pages censé démontrer l'innocence de l'un des hommes les plus puissants d'Hollywood. L'équipe de Harvey Weinstein avait jugé bon de le transmettre aux journalistes, quelques jours à peine après l'ouverture de son procès historique, le 6 janvier dernier. Mais aujourd'hui, c'est d'un autre document plutôt déconcertant dont il est question : une certaine "liste rouge" rédigée par l'accusé himself.
Sur cette liste rouge, révélée par le détective privé Sam Anson lors du troisième jour du procès, on trouve de nombreux noms. Des noms de femmes, bien entendu. Et pas n'importe lesquelles. Les noms de toutes celles, actrices ou anciennes employées, qui seraient susceptibles de révéler des faits compromettants sur l'homme d'affaires, comme l'énonce l'AFP. En somme, de le "dénoncer". Sam Anson aurait reçu un email de la main-même d'Harvey Weinstein, l'invitant à enquêter sur ces potentielles futures accusatrices tout en détaillant certaines démarches à effectuer.
Chose étonnante, le courriel en question a été envoyé à la mi-août, soit deux mois avant la publication des édifiantes enquêtes du New York Times et du New Yorker, c'est-à-dire en amont de "l'affaire Weinstein".
"Harvey Weinstein a dit qu'il était préoccupé par la publication à venir d'articles détaillant de manière négative son "comportement" sexuel", a déclaré Sam Anson au tribunal de Manhattan, où il était appelé la semaine dernière en tant que témoin. Le détective privé aurait même reçu un appel téléphonique du producteur déchu. Lors de cette conversation très animée, a-t-il détaillé au procureur adjoint de Manhattan, le magnat avait l'air "agité, stressé, contrarié" - comme une annonce des révélations fracassantes qui allaient suivre. Les e-mails compromettants envoyés par Harvey Weinstein ont été dévoilés au jury ces derniers jours. Cette enquête que lui proposait le businessman, Sam Anson l'a refusé. Mais demeure aujourd'hui cette question : quelles étaient donc ces énigmatiques "femmes à suivre" ?
Elles sont nombreuses, comme le révèle le magazine Variety. Sur cette "liste rouge" se trouve le nom de l'actrice Annabella Sciorra, qui a accusé Harvey Weinstein de viol. Mais également celui, plus médiatisé, de Rose McGowan, l'une des figures de proue du mouvement #MeToo. L'actrice accuse également "l'intouchable" d'Hollywood de viol.
Ses demandes pressantes d'enquête seraient-elles la preuve d'une culpabilité certaine ? Pas le moins du monde, proteste Arthur Aidala (l'un des avocats du producteur), qui l'a affirmé aux jurés : son client désirait une enquête car il était persuadé que ces femmes "comptaient lui extorquer de l'argent", et c'est tout. Et que, bien sûr, les accusations d'Annabella Sciorra, qui a témoigné face au jury le 23 janvier dernier, n'étaient que calomnies.
Et comme toujours depuis l'ouverture du procès, les contre-interrogatoires de Donna Rotunno (l'avocate d'Harvey Weinstein) visant à démontrer la teneur "calomnieuse" de ces témoignages portent sur la question du consentement. Pour Rotunno, ces accusations ne tiennent pas debout car elles sont exprimées bien des années après les faits, mais aussi parce que l'accusatrice a continué d'échanger avec son potentiel agresseur. Des idées démontées par la psychiatre Barbara Ziv. Réagissant aux arguments de Rotunno le 24 janvier dernier, l'experte l'a déploré : "des personnes évaluent des violences sexuelles avec des idées préconçues souvent fausses. C'est ce que l'on appelle les mythes sur les viols. La plupart des gens croient à ces mythes, mais les études nous montrent qu'ils sont faux".
"Souvenez-vous que dans 85% des cas, [l'agresseur] est quelqu'un [que les victimes] connaissent. Parfois, elles ne veulent pas croire que cela leur est arrivé ; elles restent donc en lien avec l'agresseur", a appuyé la psychiatre, rappelant au passage que "le viol est le crime le moins signalé aux autorités aux Etats-Unis". De quoi déboulonner une certaine culture du viol, encombrant de toutes parts la défense d'Harvey Weinstein.