C'est un procès qui oppose un homme à deux femmes. D'un côté, le producteur déchu Harvey Weinstein, et de l'autre, deux plaignantes l'accusant de viol. Mais en vérité, c'est bien plus que cela. Derrière ce procès qui s'ouvre ce 6 janvier 2020 à la Cour suprême du comté de New York, il y a une quantité de voix. Les paroles indignées des actrices et anciennes employées qui ont osé porter plainte contre celui qui fut, des décennies durant, l'homme le plus puissant d'Hollywood. L'intouchable. Elles sont près d'une centaine. Des accusations de harcèlement et d'agressions sexuellse. Des témoignages édifiants qui disent toute l'impunité d'un véritable prédateur.
Ce procès, ce sont également deux mots, puissants et massivement relayés : #MeToo. Et à travers eux, les discours libérateurs d'artistes comme Rose McGowan, Ashley Judd, Asia Argento, Rosanna Arquette. Plus de deux ans après les révélations scandaleuses du New York Times et du New Yorker, toutes attendent de cet événement une forme de "réparation". Que le "porc" qui a régné sur l'industrie du spectacle soit renversé une bonne fois pour toutes. Aujourd'hui, celui-ci risque la réclusion à perpétuité. C'est dire si le procès d'Harvey Weinstein est historique à plus d'un titre.
"L'affaire Weinstein" est un scandale considérable. Les très nombreuses plaintes qui confondent ce prétendu "pionner de l'égalité femmes/hommes" nous renvoient tantôt aux années 80, 90, 2000... Et aux années 2006 et 2013, en ce qui concerne les faits pour lesquels Weinstein sera jugé durant ce procès. Deux femmes, l'ancienne assistante de production Mimi Haleyi et une plaignante dont le nom n'a pas encore été révélé, l'accusent de viol. Entre autres choses, le producteur aurait forcé Mimi Haleyi à lui faire une fellation, au sein de son domicile new-yorkais. Le pire, c'est que Mimi Haleyi n'est qu'une goutte d'eau au sein de l'océan Weinstein, qui constitue un véritable système, fait d'intimidations, de pressions (psychologique, physique, financière, professionnelle) et d'humiliations diverses.
Ce procès pourrait donc aboutir à la chute d'une toute puissance. Et les attentes qu'il suscite sont considérables. L'actrice Rosanna Arquette, l'une des victimes de l'homme d'affaires, en appelle à la sororité la plus totale : "Il s'agit simplement de se soutenir mutuellement. Ce procès est pour tout le monde", déclare-t-elle au Hollywood Reporter. La comédienne insiste sur le nombre de victimes dont la vie "a été brisée par des traumatismes" et sur les carrières "affectées" de celles qui ont osé s'opposer au businessman. Pour la comédienne, cette indignation doit porter ses fruits, ici, au tribunal de Manhattan, en ce début 2020. Il est plus que temps.
Idem pour Tina Tchen, la présidente de Time's Up, le mouvement de lutte contre le harcèlement sexuel initié en 2017 suite aux premières révélations de l'affaire Weinstein. "Nous ne serions jamais parvenues à ce moment historique sans le courage et la conviction de ces survivantes qui ont tout risqué. Nous espérons que ces femmes connaîtront un semblant de justice en ce début de procès", a-t-elle déclaré.
Survivantes, héroïnes, révoltées, il y a bien des noms pour qualifier les très nombreuses victimes d'Harvey Weinstein, qui, pour certaines, comptent bien assister à la procédure. L'une d'entre elles, l'actrice Larissa Gomes, accusant le producteur de harcèlement sexuel, préfère la qualification de "résistantes". De celles qui s'opposent "au très gros tyran", énonce-t-elle au Hollywood Reporter.
En 2019, Harvey Weinstein avait plaidé non coupable lors de son premier chef d'accusation. En novembre 2019 encore, ses avocats proposaient aux victimes un "dédommagement" de plusieurs millions de dollars pour que les poursuites à son encontre cessent purement et simplement. La lutte pour que justice se fasse envers le "très gros tyran" est donc loin d'être un long fleuve tranquille. L'un des grands enjeux de ce procès sera ainsi de démontrer que les contacts entre Harvey Weinstein et ces anciennes employées n'avaient rien de consentant. Et pour cela, il va falloir témoigner des méthodes d'intimidation du producteur. De tout ce "système", justement.
Et c'est bien cela que compte faire Gloria Allred. Avocate de Mimi Haleyi, soutien inébranlable du mouvement #MeToo et spécialiste des droits des femmes, Gloria Allred est une légende. Une figure iconique de l'Histoire des luttes féministes américaines. Cette redoutable militante a l'habitude d'être la voix des "David" confrontées aux intouchables Goliath. Elle fut notamment l'avocate de 29 des 50 femmes qui ont accusé l'ancien humoriste Bill Cosby de viol, mais aussi de Summer Zervos, une ancienne candidate de la télé-réalité qui a accusé Donald Trump d'agression sexuelle. L'on s'en doute donc, la psychologie des prédateurs sexuels et des hommes de pouvoir (les deux font souvent la paire) lui est plus que familière. Ce procès pourrait bien être l'un des grands moments de sa longue carrière.
En ce mois de janvier, Gloria Allred s'inscrit de nouveau dans un instant historique de justice et de libération de la parole. Face à elle, l'avocate d'Harvey Weinstein, Donna Rotunno, compte bien défendre son client jusqu'au bout. En s'attaquant, notamment, à l'argument du consentement. Car selon Rotunno, une femme "a toujours le choix". Des propos très "culture du viol" qui indignent de nombreuses femmes. Mais aussi des hommes.
Comme l'acteur Johnathon Schaech, par exemple. Ce comédien accuse le cinéaste Franco Zeffirelli de l'avoir harcelé sexuellement. Aujourd'hui, il salue l'ouverture de ce procès et la bravoure des plaignantes. "C'est une opportunité pour la justice", se réjouit-il. Et pour la cause des femmes, pourrait-on ajouter, à l'aube d'un dénouement qui pourrait bien incarner la victoire de l'ère #MeToo.
Pour certains, le combat est déjà gagné, en un sens. C'est ce qu'explique le journaliste Yashar Ali : "Pour une fois, Harvey Weinstein a certainement visionné la cérémonie des Golden Globes de chez lui. Mais il y a trois ans, il était encore dans le public, en position de pouvoir. Son procès pour viol a lieu grâce à un groupe de femmes extraordinairement courageuses, qui ont tout risqué pour partager leurs histoires aux journalistes". Ce moment "historique" l'est avant tout grâce à elles. La peur a changé de camp.