C'est une étude de l'Université du Michigan, réalisée par Approva Jadhav et publiée dans le Bio-Med Central Journal, qui soulevait, en 2016, un fléau méconnu : en Inde, le manque de toilettes - et le tabou qui entoure ces besoins humains en général - accroît considérablement l'insécurité des femmes.
La moitié des viols seraient d'ailleurs commis pendant que les Indiennes sortent uriner ou déféquer dans la nature, posséder l'installation sanitaire à l'intérieur du domicile familial étant considéré comme impur dans beaucoup de villages ruraux. "Celles qui utilisent des sites de défécation en plein air, comme les champs ou le bord d'une voie ferrée, ont deux fois plus de chances de se faire violer [par quelqu'un d'autre que leur partenaire] que les femmes qui utilisent des toilettes à domicile", indique ainsi le rapport. Ajouter à cela les infections que la pratique dans un lieu insalubre peut engendrer, et le risque est colossal.
Pour vaincre ces non-dits et les conséquences désastreuses qu'ils engendrent, des voix s'élèvent. Notamment celle d'Anita Narre, qui s'est battue dans son propre foyer pour obtenir des toilettes privées. Une lutte qui n'est pas restée vaine, puisque non seulement la jeune mariée a obtenu gain de cause, mais les familles alentours aussi, ont investi. Elle est d'ailleurs considérée comme l'instigatrice de la "révolution des toilettes", dans un pays où 600 millions d'habitant·e·s n'en possédaient pas lorsqu'elle s'est lancée, en 2012. En 2020, 4,2 milliards de personnes ne sont toujours pas équipées, alerte l'ONU.
Cinq ans après l'action d'Anita Narre, l'industrie du film de Bollywood s'emparait même de son histoire pour sensibiliser la population, en sortant Toilet: A Love Story, comédie dramatique fidèle à la réalité, qui a permis de faire évoluer les mentalités à une échelle plus large. "Quand les gens vont regarder le film, ils vont avoir une bonne inspiration par rapport aux femmes qui souffrent encore de ces tourments", assurait la militante.
Aujourd'hui, c'est au tour du passionnant documentaire Toilettes sans tabou, diffusé sur Arte et réalisé par Thierry Berrod, d'aborder les problématiques liées à ce sujet autour du globe. La technologie mise à son service au Japon, comment réduire le gaspillage de l'eau utilisée pour les WC en Occident, comment l'urine et les matières fécales contiennent de précieuses informations sur notre état de santé... Et enfin, comment le dispositif peut impliquer davantage de sûreté.
La chercheuse Approva Jadhav poursuit : "Nos conclusions fournissent une justification supplémentaire aux ONG et au gouvernement indien pour étendre les programmes d'assainissement, et soulèvent de nouvelles questions sur le rôle potentiellement protecteur des installations sanitaires dans d'autres contextes que l'Inde".
En 2014, le Premier ministre indien Narendra Modi (dirigeant nationaliste vivement critiqué par ailleurs) lançait la campagne de sensibilisation "Inde propre" qui visait à assainir la région et scandait : "Les toilettes sont plus importantes que les temples". Le programme aurait permis la construction de toilettes pour 500 millions d'Indiens, selon les statistiques du gouvernement. Des chiffres à prendre avec des pincettes, prévient toutefois Le Monde. Certaines toilettes ne sont pas utilisées ou raccordées au réseau d'assainissement.
Pour Cécile Dekeuwer, présidente de WeCo, qui propose des toilettes publiques écologiques, "Il faut que les femmes s'emparent du sujet des toilettes. L'éducation des enfants sur les toilettes, ça passe par les femmes partout dans le monde", affirme-t-elle dans le reportage d'Arte.
L'ONU a, de son côté, annoncé vouloir mettre en place des toilettes pour tous, et ce de façon durable, d'ici 2030. En attendant, les Nations unies continueront d'alerter sur ce problème majeur, plus particulièrement à l'occasion de la Journée internationale des toilettes, tenue le 19 novembre.