En 2012, Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, est devenue la cible de menaces lorsqu'elle a pris connaissance d'un secret d'Etat relatif à l'industrie du nucléaire - un accord avec la Chine mettant en péril des dizaines de milliers d'emplois. En décembre de la même année, cette syndicaliste déterminée sera retrouvée ligotée à son domicile, scarifiée et victime d'un viol. Son vagin avait été pénétré par le manche d'un couteau.
Dans les mois et années qui vont suivre, le témoignage de Maureen Kearney ne cessera d'être contesté. Elle passera même de victime à coupable présumée, les autorités en charge de l'affaire remettant en cause les circonstances de son viol. Cette histoire morbide, c'est celle d'une femme "de poigne" directement meurtrie dans son intimité, alors qu'elle s'exerce coûte de coûte à défendre la vérité dans un monde d'hommes complaisants.
Sujet d'un livre-enquête de la journaliste de L'Obs Caroline Michel-Aguirre, ce récit se voit désormais porté à l'écran par Jean-Paul Salomé (Les femmes de l'ombre). La syndicaliste met en scène une Isabelle Huppert impassible, à la fois forte et vulnérable en femme de conviction - comme elle pouvait l'être dans L'ivresse du pouvoir de Claude Chabrol.
Un portrait féministe à découvrir en salles le 1er mars.
Féministe, pourquoi ? Car Jean-Paul Salomé perçoit en Maureen Kearney une figure exemplaire. Incorruptible malgré les jeux de pouvoir, les pressions et les menaces, la déléguée déconcerte ses adversaires par son air distant et glacial, parée de son chignon blond d'héroïne hitchcockienne et ses lunettes rigides. Seule contre tous, elle évolue dans une sphère politique régie par une violence patriarcale dont elle sera la grande victime. Même la sororité s'avérera compliquée dans ce combat contre des moulins parés de costards-cravates.
Mais surtout, La syndicaliste dévie progressivement de son statut premier d'intrigue politique nerveuse pour déployer un discours critique, en se focalisant sur le traitement de ce personnage par la justice. En gros, Maureen Kearney va passer d'empêcheuse de tourner en rond à "mauvaise victime". Ex alcoolique, on l'accuse d'être hystérique et fragile psychologiquement. On entend pas sa "sidération" lors de son viol. On la pense manipulatrice. Le victim blaming est tel qu'on l'accuse... de s'être mutilée elle-même.
Culpabilisation virant carrément à l'inversion coupable/victime, préjugés sexistes, violences masculines, émanant aussi bien des agresseurs que de la justice... Autant de thématiques qui évoquent un grand polar français multi-césarisé : La nuit du 12 de Dominik Moll. Si le film de Jean-Paul Salomé n'atteint ni l'intensité émotionnelle ni la frontalité militante de ce dernier, il parvient cependant à capter notre attention, en se dédiant entièrement à cette femme indépendante, incarnée avec justesse par une actrice emblématique.
Actrice que l'on s'impatiente déjà de retrouver dans l'imminent Mon crime, prochain film de François Ozon, traitant à l'unisson des droits des femmes et de la libération de leur parole... A sa manière.
La syndicaliste
Sortie le 1er mars 2023
Un film réalisé par Jean-Paul Salomé
Avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois