Il n'y a pas de moment plus stressant que celui d'un premier baiser, lorsque l'autre est encore une terre inconnue et hostile que l'on doit conquérir sans faire de faux-pas. Cette expérience où l'excitation se dispute à la peur est si marquante qu'elle a alimenté toute une série de rêveries, de poèmes, de belles citations... et pour les plus pragmatiques, de guides pratiques. Ces derniers, souvent publiés à l'égard des femmes pour les "instruire" et leur apprendre la bienséance jusque dans les choses de l'amour, répondaient à des questions cruciales, comme l'endroit où il était convenable de placer ses mains, l'attitude générale à adopter et les mouvements de langue à éviter à tout prix.
Le magazine LIFE avait publié en 1942 l'un de ces fameux guides. Destiné aux acteurs hollywoodiens, le but de ce guide illustré était d'aider les acteurs à tourner des scènes réalistes mais correctes. Devant ces photos, on ne peut s'empêcher de sourire, en souvenir d'une époque où une scène de baiser était encore controversée et considérée comme potentiellement obscène. Mais l'on ne peut s'empêcher d'également remarquer qu'elles sont empreintes du sexisme qui gangrène les années 40. Elles colportent les stéréotypes de genre classiques, qui font des hommes des gentlemen virils, forts et courageux tandis que les femmes sont réduites au rôle de créatures frêles, timides, dociles et gracieuses. Et malheureusement, ce ne sont pas des stéréotypes contre lesquels on a fini de se battre, bien au contraire. Petit retour en arrière, entre le rire et le désarroi.
On retrouve là toute l'âme des années 40, qui peine à retrouver une cohérence après deux guerres mondiales d'une violence inouïe, et qui oscille entre de grands élans de modernité et des replis stratégiques sur les rassurantes moeurs d'autrefois. On veut de la passion, mais pas trop, de la fougue, mais pas d'incitation à la débauche, de l'amour, mais dans le calme, la bienséance et la dignité...
Pas question que la demoiselle s'avachisse sur un fauteuil dans un élan de passion. Et on soupçonne que ce n'est pas tant l'inélégance du geste qui choque les moralisateurs, mais la possibilité de passer plus facilement sous la jupe. Par conséquent, on conseillait alors aux femmes de jouer la sécurité en s'asseyant bien droite sur le bras du fauteuil, afin de ne pas passer pour une femme de petite vertu qui découvre ses dessous. Vive la spontanéité et la liberté des femmes, n'est-ce pas ?