Avant d'être beau, l'amour est surtout étrange et déconcertant. C'est pourquoi, lorsqu'on décide de tremper un orteil pour la première fois dans le bain des relations amoureuses, la noyade est souvent assurée. On patauge pitoyablement, on crie au secours et se raccroche à la première bouée qu'on trouve. En l'occurrence, la multitude de comédies romantiques qui traitent l'amour sous toutes ses formes. On a passé notre adolescence à les disséquer, en prenant scrupuleusement des notes pour tenter d'enfin maîtriser les codes du monde impitoyable et mystérieux des relations sentimentales. A force de s'injecter des doses massives d'amour hollywoodien préfabriqué dans les veines, on finit par croire que c'est à ça que l'amour doit ressembler : des premiers baisers enflammés sous la pluie, des coups de foudre au premier regard, des fuites passionnées avec votre témoin le jour de votre mariage... On l'avoue, on a même pensé après avoir vu Pretty Woman que ça pouvait être sympa d'être une prostituée, histoire de rencontrer votre Richard Gere.
Sauf qu'en réalité, la plupart du temps, vous vous retrouvez coincée dans un bar bondé à essayer d'entendre pourquoi votre date Tinder a appelé son chat Knacki, et il n'y a que les junkies qui rentrent de rave party qui viennent brandir des autoradios sous vos fenêtres. Petit florilège des choses qui sont très différentes lorsqu'on tombe amoureuse mais qu'on ne vit pas dans une comédie à l'eau de rose avec Hugh Grant.
On en est persuadé : l'essence même des comédies sentimentales tient dans les musiques d'ambiance. Que seraient les tragiques scènes de rupture sans une mélodie triste ? Les retrouvailles tant attendues si elles n'étaient pas secondées par une musique dégoulinante ? Et bien, elles seraient comme dans la vraie vie : bizarres. Et beaucoup, beaucoup moins romantiques.
Les musiques de fond gomment le malaise, nous font oublier à quel point c'est gênant, d'aller dîner avec quelqu'un qui nous plaît ou d'embrasser pour la première fois un semi-inconnu. Avec une musique de fond, vous pouvez rester à regarder l'élu de votre coeur dans les yeux en souriant et en battant des cils : la musique parle pour vous et donne au moment une force émouvante. En réalité, sans musique d'ambiance, vous aurez juste l'air d'une sociopathe qui essaye d'hypnotiser sa prochaine victime. Bon courage pour rattraper ça.
Pour empêcher l'amour de sa vie de ne pas partir à l'autre bout du monde, dans les films, il faut : attendre le tout dernier moment pour se décider, foncer à l'aéroport, claquer six mois de salaire dans un billet pour le Pérou que vous n'utiliserez pas, courir pour passer plus vite les contrôles de sécurité, trouver le terminal en essayant d'attendrir tout le personnel ("L'amour de ma vie est dans cet avion, je dois la rattraper !"), et déclarer votre flamme.
En réalité, ça n'arrivera jamais. Quand bien même vous seriez avec quelqu'un d'assez effrayant et obsessif pour vous poursuivre à l'aéroport alors que vous tentiez de mettre quelques océans entre vous deux (et que vous deviez avoir de très bonnes raisons à cela), ne vous inquiétez pas : il se ferait taser en moins de deux minutes.
Contrairement aux actrices de comédies romantiques, on a déjà du mal à assortir nos culottes et nos soutien-gorges. Alors, non, on ne porte pas systématiquement de la lingerie fine sexy. On n'est pas toujours parfaitement épilées, on peut avoir les cheveux sales, des boutons et des cernes. Le matin, on se rapproche plus du poulpe que de la parfaite sirène. On n'est pas toujours glamour, souriantes, enjouées, et bien maquillées. Parce qu'on est réelles, tout simplement. Et c'est très bien comme ça.
Qu'on se le dise : l'alcool est le kit de survie de la marathonienne de rencards. Quand ça se passe bien, ça aide à se détendre et à être plus naturelle. Et quand ça se passe mal, ça vous aide à supporter les tirades paternalistes d'un abruti en costard qui essaye de vous persuader que "Toutes les femmes ont besoin d'un Donald Trump", ou qui s'étonne que vous soyez encore célibataire, "avec ce si joli 90C".
Imaginez comme ça serait pratique si quelqu'un pouvait crier "On la refait !" à chaque fois que vous ratez quelque chose. Vous vous rendez compte que votre robe est déchirée au niveau des fesses au moment où vous rencontrez ses parents pour la première fois ? "On la refait !". Vous étiez tellement stressée que vous avez été d'une ineptie effroyable au premier dîner ? "On la refait !" !
Quelque part, cependant, on peut se réjouir de ne pas avoir cette option. Parce que c'est ce qui fait que nos histoires sont plus belles que celles soigneusement polies par Hollywood : elles ne sont ni lisses ni logiques, mais pleines d'aspérités, de fiascos, de fous rires gênés, de petits loupés et de gros dérapages. Personne n'en devine jamais la fin, d'ailleurs.
Dans une comédie romantique, le scénario est immuable : on trouve le prince charmant, on affronte un paquet d'obstacles (peur de l'engagement, belle-mère infecte, enfants récalcitrants, ex jalouses et autres coups du sort), on les surmonte et paf ! On a le droit au bonheur éternel. A Hollywood, même Bridget Jones finit par nager dans la béatitude, avec Colin Firth et Patrick Dempsey qui se battent pour ses beaux yeux.
En réalité, on n'a pas toujours le droit à un happy ending. Notre histoire sentimentale, c'est aussi beaucoup d'échecs, de malentendus, de mensonges et de trahisons. Mais on apprend, et on se porte bien. Scarlett O'Hara ne survivrait pas cinq minutes dans le monde réel, elle.
Difficile pour les comédies romantiques modernes de montrer à quel point la technologie joue désormais un rôle fondamental dans nos relations amoureuses. Forcément focalisées sur l'action directe, elles se contentent de mettre en scène quelques échanges de textos. Mais en vrai, tout début de relation s'appuie désormais sur les communications virtuelles. Il y a d'abord l'épluchage minutieux des profils Facebook, les échanges de messages, et les passages à risque ("Est-ce qu'il va me prendre pour une dingue si je like sa photo Instagram ?"). Sans parler des fois où on s'aborde sur Tinder, et qu'on teste chacun la répartie et l'humour de l'autre, pour savoir si on doit le "ghoster" ou foncer. C'est tout un monde.
Ne pensez pas que les comédies à l'eau de rose sont inoffensives parce qu'elles se terminent toujours bien. Elles peuvent avoir sur nous un effet des plus pervers : à force d'observer et d'envier une représentation de la relation parfaite, on se met inconsciemment à penser que l'amour doit être mis en scène pour être véritablement vécu. On fait des listes de #relationshipgoals à atteindre pour être le couple parfait, on se met en tête que l'amour passe par des coups d'éclat en public, des déclarations d'amour à la télévision, des flash mobs surprises, des voyages au bout du monde, et des demandes de fiançailles mieux orchestrées encore que le débarquement du 6 juin 1944.
Et pourtant, il n'y a pas (et ne devrait pas y avoir) de spectateurs à votre histoire d'amour. Vous n'avez pas à vous embarrasser du regard des autres jusque dans votre couple : vous pouvez faire ce que vous voulez, personne ne viendra se plaindre parce que les péripéties n'étaient pas à leurs goûts. A force de chercher à mettre en scène nos vies pour atteindre des "normes" fictives et irréalistes, on finit par ne plus savoir apprécier l'étrangeté et la complexité du réel. Notre physique, notre travail, nos vacances, nos enfants, notre couple... Tout y passe. Alors au diable les princes charmants et les déclarations d'amour fiévreuses au clair de lune sur une île paradisiaque : ce qui est véritablement grandiose, c'est de vivre une histoire d'amour que même les plus grands scénaristes n'arriveront jamais à mettre à l'écran, simplement parce qu'elle est bien trop réelle -et donc bien trop belle.