Pendant longtemps, on a mesuré la valeur d'une femme à trois choses : sa beauté, sa jeunesse... et son mari. Le mariage était la cellule de base de la société, et avant que la légalisation du divorce (Loi Naquet, 1884) et sa démocratisation ne fissurent ce modèle traditionnel, une femme devait se marier pour s'accomplir pleinement.
Le célibat était une tare suspecte dont il fallait se débarrasser au plus vite. Toute l'éducation féminine (cuisine, ménage, bonnes manières et autres festivités) était de fait entièrement tournée vers le mariage : il fallait devenir "bonne à marier". D'ailleurs, en 1938, le magazine Click-Photo Parade Magazine publie des petits conseils à l'adresse des demoiselles célibataires afin de les aider à attraper un homme dans leurs filets. Retrouvés par Neatorama, c'est un véritable condensé de sexisme ordinaire, qui révèle la pression qu'exerçait la société pour enfermer une femme derrière les fourneaux, dans son rassurant rôle d'épouse modèle se consacrant entièrement au bonheur masculin.
Et si l'on ne peut s'empêcher de rire en lisant ces conseils désuets, le rire reste jaune. Peut-être parce que ces directives pour sortir de l'infamante condition qu'est le célibat nous sont encore beaucoup trop familières. Après tout, le terme "mademoiselle" n'a disparu des papiers officiels qu'en 2012 : alors qu'un homme se fait toujours appelé "monsieur", qu'il soit célibataire ou père de famille, on marquait encore la différence pour la femme, l'infériorisant en considérant implicitement qu'elle n'est pas "finie" tant qu'elle n'est pas mariée, qu'elle a encore un échelon à gravir pour devenir pleinement femme. Et pas plus tard qu'en mai dernier, les capacités à gouverner de la nouvelle présidente du Taïwan, Tsai Ing-wen, ont été remises en cause parce qu'elle était toujours célibataire. Le sous-entendu est clair : comment pourrait-elle diriger convenablement un pays si elle n'est même pas capable de se trouver un mari ? La femme célibataire s'expose donc toujours à une flopée de regards méfiants, de remarques condescendantes ou d'étonnement faussement flatteur : "Comment ça se fait que tu sois encore célibataire, toi ?". Et malheureusement, il suffit d'ouvrir n'importe quel magazine féminin pour trouver des conseils tout aussi douteux que ceux qu'on adressait aux femmes en 1938. Démonstration dans ce petit retour en arrière aux échos bien trop contemporains.