"Personne ne t'avait préparé à ça ? C'est normal. Rien ni personne ne peut préparer au célibat"... On n'est pas sérieux quand on a 20 ans, on n'a même pas peur de la solitude. Mais quand on a 30 ans, ce n'est plus la même chanson. La vie en solo ? Une source d'angoisse pour beaucoup, une réalité pour certains. Anne Berland, elle, est restée célibataire cinq ans et elle est quasiment passée par les 7 étapes du deuil. Alors, pour transformer ce désert affectif en force, pour montrer au célibat qui est la patronne, elle a décidé d'écrire un livre au titre évocateur : Celibadtrip. Un essai qui appuie où ça fait mal, qui passe la vie de célibataire - mais aussi la vie de couple - au scalpel. A coup de punchlines, d'humour et de pas mal de questionnements, elle a exorcisé sa douleur, l'a carrément mise K.O. Rencontre avec une ancienne célibataire hautement sympathique.
Anne Berland : Oui, je suis totalement d'accord. Il y a d'abord une pression sociale, et puis pour certaines personnes, il y a une pression interne. C'est-à-dire qu'à l'intérieur de soi, on se sent seul. Mais soyons clairs, il y a bien une pression sociale qui s'exerce sur les personnes qui sont célibataires. Les couples essaient toujours de "maquer" leurs amis ou de forcer des rencontres. Tout ça alors qu'il y a certains célibataires qui n'ont rien demandé. Donc finalement, sous couvert d'un discours individualiste, la société prône le couple de manière insidieuse.
A.B : Ce jugement, ce cliché de la femme libre aux moeurs légères, pour moi, c'est un peu une idée d'autrefois, quelque chose d'un peu dépassé. Même si cette façon de penser est encore véhiculée par certains mecs, et malheureusement par certaines femmes, il faut s'en émanciper. Je pense que c'est en train de s'atténuer et que les gens de 20 ans ne voient plus forcément les choses comme ça. Au-delà de ça, je ne pense pas que les femmes soient doublement victimes du célibat. Mais elles peuvent se victimiser elles-mêmes si elles s'empêchent de passer à l'action à cause du regard de l'autre. Si elle dit non alors qu'elle veut dire oui parce qu'elle a peur de passer pour une chaudasse, et bien c'est triste. Parce que là, elle devient un objet, elle n'est plus le sujet. Donc au lieu de se demander "Est-ce que je dois me faire désirer ?", on devrait plutôt s'écouter.
A.B. : Je ne pense pas qu'il y ait de différence entre les hommes et les femmes. Autour de moi j'ai des amis célibataires qui traversent les mêmes moments de solitude, parfois de désespoir, parfois d'allégresse aussi. Parce que le célibat ça peut aussi être rigolo (rires). Il n'y a pas vraiment de différence donc, à une chose près : c'est que les femmes à partir de 30 ans, elles commencent à flipper à cause de leur horloge biologique. Il faudrait qu'on réussisse à s'émanciper de cette peur, d'autant plus que la science a pas mal avancé et qu'aujourd'hui, il y a quand même pas mal de moyens pour faire un enfant un peu plus tard.
A.B. : Et bien moi, quand j'étais célibataire, j'avais une technique. En fait, je fréquentais beaucoup de célibataires comme moi. Je me suis enfermée dans le célibat et j'ai moins traîné avec mes amis en couple, tout simplement pour me protéger. C'était une manière pour moi de me dire que je n'étais pas anormale. Bon en même temps, je vis dans un milieu urbain, parisien, où l'on croise beaucoup de célibataires de 30 ans. En revanche, si je vivais dans une toute petite ville ou un village, je ne sais pas si ce serait aussi facile. Parce qu'à Paris par exemple, je n'ai pas vécu la pression sociale, mais je l'ai quand même un peu sentie. Et du coup, je me dis : "qu'est-ce que ce doit être en province ou dans les milieux reculés, traditionnels ou conservateurs ?". C'est aussi une histoire de milieu social. Donc bref, si j'avais un conseil, ce serait de réactiver son réseau de célibataires pour ne pas se retrouver comme un OVNI dans un dîner ou pendant des vacances avec que des gens en couple.
A.B. : Je ne suis pas sûre que l'être humain soit fait pour être complètement seul. Moi, dans mon livre, j'ai essayé de décrire une expérience qui est physique, presque organique. C'est-à-dire qu'à un moment donné, l'absence de contact physique – et je veux surtout parler de la tendresse – devient assez dure à vivre. Les animaux vivent souvent en troupeaux ou en groupes en tout cas, mais il n'y a que l'homme moderne qui vit tout seul dans son immeuble au 4e étage et qui bouffe en solo devant sa télévision. C'est quand même un phénomène curieux et contemporain. Ce qui fait peur, c'est l'idée qu'on va être seul toute sa vie, c'est le film qu'on se fait d'une vie sans enfants, sans petits-enfants, sans famille quoi. Au bout d'un moment, on ne voit plus que ça, on n'arrive même plus à imaginer autre chose. Mais en fait, c'est un tunnel, un enfermement psychologique. On peut rencontrer quelqu'un n'importe quand.
A.B. : Je pense qu'il faut s'accomplir, s'épanouir dans son travail. Et si ce n'est pas dans le travail, ça peut être dans un projet plus personnel, qui nous tient à coeur. Si vous aimez la peinture, peignez, si vous êtes un entrepreneur, essayez de fonder une boîte, etc. Moi, je pense généralement à des idées artistiques, mais ça peut être n'importe quoi. On peut s'épanouir en cultivant son jardin par exemple. Par l'épanouissement personnel et professionnel, je pense qu'on peut déjà avoir la sensation d'être plus fort et plus fière de soi. Surtout que lorsqu'on est célibataire depuis longtemps, parfois on a perdu cette estime de soi. Il faut aussi s'entourer d'amis, de gens très bienveillants et puis voilà, avec ça, on est armé.
Celibadtrip, d'Anne Berland, ed. Michel Lafon, 219 pages, 16,95 euros